Après le naufrage du Wakashio au large des côtes mauriciennes, à l’origine d’une importante marée noire, la contestation sociale s’organise contre le gouvernement, accusé par certains opposants d’avoir caché la vérité à la population.
Carrure de gros bras et cheveu ras, Bruneau Laurette est à la tête de la contestation naissante sur l’île Maurice, où la population s’indigne de la gestion par le gouvernement de la marée noire qui a pollué la côte en août.
Cet expert en sécurité maritime de 46 ans, qui en temps normal escorte, arme au poing, des navires dans l’océan Indien pour les protéger des pirates, estime que le gouvernement a caché la vérité sur les circonstances de la marée noire. Il n’a de cesse depuis de réclamer des comptes.
Samedi, à son appel, des dizaines de milliers de Mauriciens sont descendus dans les rues de la capitale Port-Louis pour faire entendre leur colère. Ils étaient vêtus de noir, symbolisant les ravages du fioul sur les lagons azurés de l’île.
Un tel rassemblement n’avait pas été vu sur l’île depuis près de 40 ans : "Ça a dépassé les espérances", s’est félicité Bruneau Laurette dans un entretien avec l’AFP.
Le vraquier japonais MV Wakashio s’est échoué le 25 juillet sur un récif à Pointe d’Esny, au sud-est de l’île. Trois semaines plus tard, l’épave s’est brisée en deux, après une course contre-la-montre pour pomper le carburant contenu dans sa cale.
Entre-temps, le navire avait déjà laissé échapper au moins 1 000 tonnes de fioul qui ont souillé la côte, ses espaces protégés abritant des forêts de mangrove, ses espèces menacées, ainsi que les eaux cristallines prisées des touristes.
Les Mauriciens, massivement mobilisés pour limiter l’impact de la pollution et pallier aux manquements des autorités, ont trouvé en Bruneau Laurette et son franc-parler, un porte-voix.
"Je n’ai pas de colère, j’ai plus de la tristesse quand je vois l’incompétence qui règne", dit ce spécialiste en combat rapproché, qui estime que les protocoles de sécurité n’ont pas été respectés.
Comme nombre de ses compatriotes, il considère que le gouvernement a tardé à prendre la mesure de la catastrophe et organiser le pompage du fioul. Selon lui, les autorités ont volontairement caché la gravité de la situation.
Pendant une crise comme celle-là, "on doit s’adapter à la situation et on évolue (…) Mais ici on a tendance à attendre, attendre. Non, on ne peut pas attendre. C’est pour ça que je dis qu’il y a eu un dysfonctionnement", explique-t-il.
Bruneau Laurette a ainsi porté plainte contre le ministre de l’Économie bleue, Sudheer Maudhoo, celui de l’Environnement, Kavydass Ramano, ainsi que contre plusieurs responsables administratifs mauriciens et le capitaine indien du MV Wakashio.
Mais "il n’y a eu aucune enquête, ces ministres sont encore en poste", s’insurge-t-il. Beaucoup de Mauriciens saluent son courage pour avoir osé croiser le fer avec le Premier ministre Pravind Jugnauth.
M. Jugnauth, en poste depuis 2017 et dont le père, Sir Anerood Jugnauth, a été plusieurs fois Premier ministre et aussi président de la République, est à ses yeux l’archétype des représentants des quelques familles qui règnent sur la politique mauricienne depuis des décennies.
"Je ne crois pas que (ce soit) quelqu’un qui est assez humble pour partir", observe-t-il, dénonçant "l’égo surdimensionné" et "l’arrogance" du chef du gouvernement, dont il réclame la démission.
M. Jugnauth a dans un premier temps sèchement estimé ne pas avoir commis d’erreur et refusé de présenter des excuses. Mais dans une allocution télévisée lundi soir, il s’est voulu plus accommodant, assurant avoir "entendu les revendications" et annonçant l’ouverture d’une enquête publique sur l’accident du MV Wakashio.
Cette affaire a servi d’exutoire au ressentiment de la population contre ses élites. Lors du défilé de samedi, les manifestants ont aussi dénoncé la corruption, les inégalités sociales et un régime perçu comme de plus en plus autoritaire.
"Il faut toujours être à l’écoute du peuple. Parce que le véritable employeur, c’est le peuple", reprend Bruneau Laurette, qui réfute les accusations selon lesquelles il serait instrumentalisé à des fins politiques.
L’activiste revendiqué, qui dit avoir "faim de justice", ne compte pas en rester là et met le gouvernement en garde : "Là c’est toujours l’échauffement : ça n’a pas encore commencé".