Les chambres consulaires de La Réunion ont adressé un courrier au ministre de l’Économie et des Finances concernant le rachat de Vindemia.
"Monsieur le Ministre,
La lutte pour le pouvoir d’achat à La Réunion est un combat ancien et récurrent. Ce sentiment est partagé dans l’ensemble de l’Outre-mer (Antilles-Guyane, La Réunion, Nouvelle-Calédonie) où les situations de position dominante, les pratiques anti-concurrentielles et les politiques de prix sont régulièrement pointées du doigt.
A La Réunion, la vie chère est un fléau historique qui pèse sur le territoire, d’abord au regard de la situation sociale d’une majorité de familles qui subissent les écarts avec la métropole où les prix sont 7,1% plus élevés sur l’île. Ce chiffre grimpe à 28% quand on ne regarde que les produits alimentaires. De plus s’ajoute, face à un revenu résiduel qui baisse, des charges qui augmentent.
Dans ce contexte, l’annonce de la signature d’un projet de rachat de VINDEMIA— filiale de Casino dans l’Océan Indien (Réunion, Mayotte, Maurice et Madagascar) présente sur l’île de La Réunion depuis 2006 et leader du marché de la grande distribution alimentaire sur l’île — pour 219 millions d’euros par le Groupe Bernard Hayot -franchisé Carrefour en Outre-mer, vient bouleverser le paysage de l’ensemble des entreprises réunionnaises de manière inquiétante.
Moins de deux années après la grave « crise des gilets jaunes », cette transaction apparait en contradiction totale avec l’attente impatiente des Réunionnais et les propositions formulées lors de la sortie de crise en 2019. Elle se situe à l’opposé de la position du gouvernement en place, qui entend lutter contre les économies de rente, les monopoles et qui affiche sa volonté de faire vivre la concurrence plurielle pour baisser les prix et redonner aux consommateurs du pouvoir d’achat.
Il nous semble aujourd’hui primordial de vous faire part de notre profonde inquiétude, et celle des 58 000 entreprises locales que nous représentons, a fortiori dans un contexte de crise mondiale liée au COVI D 19, qui vient porter un nouveau coup à nos TPE et PME, dont on sait que certaines ne redémarreront plus.
Nous appelons par ce courrier votre attention sur deux points essentiels :
- Le projet qui se profile augure la domination économique d’un seul acteur sur un marché déjà contracté et non extensible.
En effet, le Groupe Bernard Hayot à La Réunion détient déjà presque 50% de parts de marché dans l’automobile avec les concessions Renault, Dacia, Volkswagen, Audi, Mercedes, Hyundai, Skoda, Jeep mais aussi les locations de voitures, les pièces détachées, les pneus et les centres auto (Spe edy, Norauto), et jusqu’à 80% de P DM pour les concessions de camions (Mercedes et Renault) ;
16% de parts de marché dans la grande distribution avecCarrefour aujourd’hui et 40,2% de parts de marché (e n
chiffre d’affaires) si l’opération se réalise ; 45% de parts de marché pour la production laitière ultra-frais, sous
licence Danone ; c’est également un importateur-grossiste de produits courants en alimentaire, droguerie, hygiène de grandes marques, via sa filiale Bamyrex qui commercialise en exclusivité le portefeuille de ma rques Reckitt Benckinser et Henkel ainsi que des marques fortes comme Lays, BN, Delacre, MC Vities, Brossard, Senseo, Maison du Café, Lindt, Bjorg, Sucre Daddy, Chips Jacker, Epices Natural, Jacquet, Lipton... ; les enseignes de restauration rapide Brioche Dorée et la Croissanterie ; près de 50% -de parts de marché dans le bricolage avec la marque Mr. Bricolage ; Décathlon dans le secteur du sport. Avec la réalisation de cette acquisition le groupe élargirait également sa position dominante sur le secteurs des biens cultuels en y intégrant les magasins FNAC.
Avec une domination estimée à près de 40% sur le panier des dépenses des consommateurs rattaché directement ou indirectement au giron de GBH, une telle opération fait craindre le renforcement drastique de l’influence de ce groupe surie portefeuille des Réunionnais, avec des conséquences fortement dommage ables pour le pouvoir d’achat, les filières et l’économie de l’île.
Le groupe contrôle l’ensemble des métiers de la chaine de valeur d’une filière - aussi bien en amont e n termes d’approvisionnement et d’achats, qu’en aval en termes de commercialisation - ce qui lui confère un pouvoir démesuré sur le développement et l’avenir de celle-ci.
Cette situation est constatée à La Réunion mais également dans l’ensemble des territoires ultramarins sur lesquels opère le Groupe.
Dans ce contexte alarmant, nous avons pris connaissance de l’étude de cas spécifique commandée par la Région Réunion auprès de l’Institut Sapiens et réalisée par M. Olivier Babeau, économiste reconnu, sur l’impact du projet de rachat du groupe GBH des actifs Vindémia sur l’économie réunionnaise, afin de disposer d’un avis extérieur et expert de la situation.
Les résultats de cette analyse en pièce jointe (pj.1) sont sans appel et ce projet est qualifié de « hautement dangereux » pour La Réunion.
Un tel pouvoir permet notamment à l’acteur dominant d’imposer ses conditions d’achat, d’augmenter la pression sur les fournisseurs, de faire le prix du marché, d’en profiter pour augmenter ses prix de vente et a pour conséquence de détruire à court terme les opérateurs économiques les plus fragiles tant en amont qu’e n aval du marché concerné.
Les conséquences d’une perte de concurrence dans le secteur de l’alimentaire, première préoccupation des ménages réunionnais les plus modestes, conduisent immanquablement à une perte de pouvoir d’achat et une carence dans les choix de consommation, outre de conduire à l’exclusion d’un certain nombre de réunionnais, les plus fragiles, de l’accès à des produits de consommation courante.
Avec de telles parts de marché, dans la grande distribution et au-delà, on peut aussi craindre une puissance de négociation sans précédent auprès des fournisseurs réunionnais (importateurs et producteurs locaux) au détriment d’un bon équilibre économique ou au risque de disparaitre (aucun acteur ne peut se priver d’un débouché aussi important).
L’autre élément inquiétant mis en lumière dans ce rapport Sapiens est la fragilité du Groupe Make Distribution créé pour les besoins de l’opération en matière de montage financier : projections ambitieuses du Groupe, capacité d’autofinancement limitée, conséquences sociales catastrophiques de la fermeture des magasins à court ou moyen terme.
En tout état de cause, la question de la pérennité d’une libre concurrence à court/moyen terme et des effets sur le niveau des prix à la Réunion sont des enjeux majeurs actuels. Il est en effet à craindre que ce projet n’aille pas aboutir à une baisse des prix mais au contraire à son augmentation et en conséquence à une baisse du pouvoir d’achat.
Il est par ailleurs important de noter que les conclusions du rapport Sapiens rejoignent également celles de l’étude d’impact mandatée par l’Observatoire des Prix, des Marges et des Revenus (OPMR) qui considéraient que la concentration du marché de la distribution généraliste qui résulterait de l’opération de rachat était extrêmement défavorable pour l’économie réunionnaise et se traduirait immanquablement par une élévation des prix de vente aux consommateurs, une diminution de la diversité de l’offre, une perte d’emplois ainsi qu’une menace certaine pour de nombreux acteurs économiques réunionnais.
Il existe à cette option une solution alternative de rachat par plusieurs acteurs locaux qui d’ailleurs ont proposé au Groupe GBH de repenser ensemble l’avenir économique réunionnais pour un meilleur équilibre des forces au profit des citoyens. L’Institut Sa pie ns après analyse préconise d’étudier cette option sérieusement.
Dans une lettre adressée à Monsieur Le Président Emmanuel Macron le 2 septembre 2019 (PJ.2), l’ensemble des Députés, Sénateurs, Présidents de Département et de Région mettaient en garde les pouvoirs publics et demandaient le maintien d’une "concurrence plurielle et saine" à La Réunion.
C’est aujourd’hui solennellement que nous vous demandons, au nom des 58 000 petites et moyennes entreprises réunionnaises, dont l’avenir de certaines est suspendu au sort qui sera réservé à ce dossier, de demander le passage en Phase 2 de l’étude de ce dossier, afin de procéder à une analyse approfondie de l’impact du rachat de Vindémia par le groupe GBH.
Dans l’attente de votre retour, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances, l’expression de notre haute considération."