Qui suis-je ? Pourquoi ai-je un complexe d’infériorité par rapport aux ‘canons occidentaux’ de la beauté ? Un questionnement identitaire très caractéristique des peuples colonisés auquel Paul Mazaka, ancien directeur des affaires culturelles au Conseil Général de La Réunion, a voulu apporter quelques éléments de réflexion.
C’était lors d’un débat sur la culture et l’identité réunionnaise organisé par l’agence Komkifo ce mercredi 27 avril au centre culturel Louis Jessu. Paul Mazaka est intervenu sur le thème de la philosophie réunionnaise aux côtés de trois autres intervenants.
Zakaria Mall, directeur de Komkifo, Giovanni Prianon, enseignant et Luçay Soubaya Permalnaïck, président de l’Association Trè-d’Union, pour leur part, ont respectivement, abordé les thématiques de la structuration de l’économie de la culture, la place de la langue créole à l’école ainsi que l’héritage culturel des esclaves.
"Affirmer une philosophie réunionnaise, c’est affirmer encore plus notre identité réunionnaise qui est, bien évidemment, multiple. C’est cela qui doit être reconnu", soutient Paul Mazaka. Ce dernier estime que la question de l’identité réunionnaise n’est pas véritablement débattu car on a peur.
"Dès qu’on parle d’identité, on est assimilé aux groupes identitaires français qui n’ont rien à voir avec les réalités de La Réunion. Et, quand on parle du vivre-ensemble réunionnais, il nous faut nous demander ce que l’on met derrière ce mot", souligne-t-il.
C’est justement la philosophie réunionnaise, selon Paul Mazaka, qui peut expliquer ce qu’est ce vivre-ensemble qui prend en considération tous les aspects de nos origines et leur mode de penser.
"C’est quoi le vivre-ensemble réunionnais ? Partout sur Terre, les gens vivent ensemble", s’interroge-t-il. A travers cette question, “je souhaite, dit-il, interpeller les réunionnais et que ces derniers s’emparent de la question. C’est trop facile de dire que nous sommes un laboratoire et un exemple pour le monde".
Autant d’interrogations sur lesquelles Paul Mazaka, ancien directeur des affaires culturelles au Conseil Général de La Réunion, s’est attardé lors de son allocution. Il a fait le choix de donner son témoignage personnel et, par là-même, montrer le cheminement réalisé par lui-même.
"Il est important de partager les réflexions d’une vie. Je vais dire des choses de mon vécu qui permettra aux autres de se poser des questions sur La Réunion et sur les Réunionnais", partage-t-il avec le public présent au centre culturel Louis Jessu.
"Avant, il fallait parler le français et on ne répondait pas au canon de la beauté de l’époque. Le ‘black is beautiful’ n’existait pas encore. J’avais les cheveux crépus et j’avais une mauvaise image de moi. J’avais ce complexe là", confie Paul Mazaka en abordant la thématique du malaise identitaire.
"On ne ressemblait évidemment pas à ce qu’on voyait à la télévision. Les acteurs d’hollywood n’étaient pas noirs. Ils avaient des nez tout fins et pointus et les cheveux raides. Quand j’étais encore petit, 7 - 8 ans, je voulais leur ressembler et j’ai essayé de me lisser les cheveux. En regardant mon nez, je me suis dit que j’avais un gros nez", avoue Paul Mazaka.
"De plus, à l’école, on est laissé de côté quand on n’arrive pas à suivre les cours parce qu’on ne maîtrise pas le français", poursuit-il. Avec un manque de confiance qui s’installe, il finit par se convaincre qu’il n’était pas intéressant et qu’il n’intéressait personne.
C’est à partir de là qu’il commence à se poser des questions car il savait lire, écrire et compter sauf qu’il pensait ne pas être intéressant car il se voyait différent.
"Pour me réconcilier avec moi-même, pour me trouver beau, je me suis posé des questions métaphysiques, presque simpliste : Qui suis-je ?", explique Paul Mazaka.
C’est là où la généalogie aide et, selon lui, on comprend un peu mieux les choses. "J’ai, en effet, compris que du côté de mon père, j’avais des racines indiennes, du côté de ma mère j’avais des racines africaines, malgaches et bretonnes. J’ai donc compris que je portais en moi ces grands courants de culture, à savoir, africaine, occidentale et orientale", souligne-t-il.
"Ayant compris cela, j’étais véritablement content et fier. J’avais réglé une partie de mes problèmes mais je n’étais pas pour autant beaucoup mieux", dit-il avant de poursuivre : "J’ai compris que, personnellement, j’étais riche de toutes ces cultures mais que le choc de ces cultures en moi était lourd à porte".
Se pose ensuite la question de comment concilier une culture occidentale, orientale et africaine pour Paul Mazaka. “Personne n’en parlait à l’époque et on est obligé de se débrouiller seul. J’ai passé toute une vie à essayer de trouver, de façon harmonieuse, les relations et les liens entre ces logiques dont les modes de pensée sont différents”, indique-t-il.
"Ces questions m’ont permis d’avancer, d’exister, d’être reconnu et de faire ce dont j’avais envie de faire tranquillement et librement. Car, c’est bien de la liberté dont il s’agit ici, de la liberté vis à vis de soi", précise Paul Mazaka.
Selon lui, cette philosophie réunionnaise est caractérisée par un syncrétisme issu du métissage. "C’est cette incompréhension, au niveau de la France et de l’occident, qui pose des problèmes et qui fait des dégâts", conclut-il.