À La Réunion, des faits de violences conjugales ou de féminicide font souvent la Une des journaux, malheureusement. En 2021, 7 femmes par jour déposent plainte à La Réunion contre 4 en 2015, d’après les chiffres de l’Observatoire Réunionnais des violences faites aux femmes. Arnold Jaccoud, psychosociologue, a accepté de discuter de cette problématique avec l’équipe de LINFO.re dans la rubrique KOIVIDI.
Avant tout, il est important de savoir d’où cette problématique tire ses origines. Selon Arnold Jaccoud, elle remonte à loin, "des centaines, voir des milliers d’années." "Nos héritages patriarcaux étaient déterminés par le fait que, dans l’organisation de la société, l’homme avait la prééminence et la femme était subordonnée", dit-il.
Le patriarcat, bien que toujours présent, a reculé avec l’évolution des sociétés, mais aussi grâce aux combats perpétuels des femmes pour leurs droits. Pour exemple, les femmes ont eu droit leur indépendance financière en 1965, grâce à une loi autorisant l’ouverture d’un compte bancaire en leur nom.
Au fil des années, en plus de leur autonomie financière, les femmes ont acquis une "autonomie affective et sexuelle", notamment concernant l’appropriation de leur corps avec la contraception et le droit à l’IVG.
"Ces émancipations ont changé les rapports entre hommes et femmes dans la société, mais aussi les rapports domestiques. Désormais, les femmes ont la possibilité de vivre leur vie", explique Arnold Jaccoud. C’est ainsi que certains hommes n’auraient pas su accepter cette évolution : "il y a des hommes qui ont le sentiment qu’on leur a pris leur place et qui se montrent sarcastiques, hostiles, voire violents."
Cette non-acceptation de la place de la femme dans la société associée à de la violence pourrait être, pour Arnold Jaccoud, le résultat d’une "crise de la masculinité." Selon lui, les hommes à l’origine de violences conjugales sont "souffrants tout seul," et ont besoin d’exercer un pouvoir sur leur compagne pour se sentir bien.
"En général, c’est dû à un manque d’estime de soi, de confiance en soi. Leur maturité affective et émotionnelle n’a pas été construite", ajoute-t-il.
La femme tient une place particulière au sein des familles réunionnaises. "On est dans une socioculture, dans une partie de la population, qui est marquée par la matrifocalité et la matrilinéarité. Les femmes sont au centre de tout", constate Arnold Jaccoud. Il s’agit d’un héritage du passé esclavagiste de l’île : "l’homme, géniteur, pouvait féconder les femmes, mais n’avait pas forcément de rôle de père."
Ce n’est pas pour autant que les violences conjugales sont moins nombreuses sur l’île. "Cette société se heurte à la société occidentale et patriarcale, ce qui pousse les hommes à exercer leur pouvoir musculaire", explique le psychosociologue.
Arnold Jaccoud a tenu à faire part d’une problématique présente dans la société : celle de la "responsabilisation" des victimes, au détriment de la responsabilisation de leur bourreau. "Toutes les affiches créées dans le cadre de campagne contre les violences conjugales s’adressent aux femmes. On les incite à se défendre, à demander de l’aide. On ne s’adresse jamais au potentiel prédateur", donne-t-il pour exemple.
Pour appuyer ses propos, il rappelle que sur l’île, en douze ans, 38% des femmes qui ont succombé sous les coups de leur conjoint, ou ex-conjoint, avaient porté plainte et que celles-ci n’ont pas abouti. "La société devrait s’occuper du problème, de la victime, mais aussi du bourreau. Cela ne se fait pas véritablement, malheureusement", conclut-il.
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