En mai dernier, une enquête a été menée par la Fédération de recherche TEPP du CNRS. Celle-ci révèle qu’à compétence égale, les candidats ultramarins sont discriminés face aux candidats métropolitains. À l’origine du groupe "Réyoné déraciné", présent sur Facebook et Instagram, la militante Scylla Jelani qui dénonce régulièrement cette discrimination subie par les Réunionnais s’exprime sur cette étude.
Depuis quelques jours, les résultats d’une étude menée en mai dernier révèlent que les candidats d’Outre-mer subissent une discrimination à l’embauche sur leur lieu de naissance. Une étude qui fait réagir, mais qui n’étonne pas non plus. La militante Scylla Jelani met souvent ces discriminations en lumière et s’exprime sur cette enquête.
En mai 2021, une étude a été menée par la fédération de recherche TEPP du CNRS à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, suite à la demande de SOS Racisme. L’enquête a ciblé le secteur de la restauration et la profession de serveur. À La Réunion, le test a été effectué dans 331 restaurants. L’objectif est de mesurer l’ampleur des discriminations dans l’accès à l’emploi pour les personnes natives et vivantes dans ces départements.
Le test consistait à faire candidater trois candidats fictifs du même âge et avec un niveau de formation et d’expérience équivalent. Toutefois, les profils étaient différents : l’un était né et formé sur l’île, l’autre était né dans un quartier défavorisé et formé sur l’île, le dernier était né, formé, et vivait à Paris. Ce dernier profil était celui dont la candidature a été le plus souvent retenue. En effet, à La Réunion, le candidat de Métropole obtient 7.33% de réponses positives, face au Réunionnais venu d’un quartier défavorisé qui obtient 5.13% de réponses positives et à l’autre candidat réunionnais qui en obtient 4.76%.
"Réyoné Déraciné"
Depuis quelques années, Scylla Jelani utilise les réseaux sociaux pour dénoncer cette discrimination à l’embauche que subissent les Réunionnais chez eux, à travers le compte "Réyoné Déraciné". Celui-ci est né de son ras-le-bol personnel suite à de nombreux refus de mutation. La jeune femme est entrée en contact avec plusieurs Réunionnais qui vivent dans l’hexagone, comme elle, et qui ont choisi de partager leur expérience.
Les témoignages sur "Réyoné Déraciné" sont divers : il y a ceux qui apprécient leur nouvelle vie en Métropole, ceux qui, après plusieurs échecs de demande de mutation, se sont résignés à rester là-bas, ceux qui persévèrent et qui continuent de postuler, et ceux qui ont choisi de mettre leur carrière de côté pour pouvoir retourner chez eux. "L’objectif de cette page n’est pas de dissuader les Réunionnais de quitter leur île, mais de les informer pour qu’ils partent en connaissance de cause et non en désespoir de cause", dit-elle.
En effet, parmi les nombreux témoignages qu’elle recense, beaucoup se tournent vers la Métropole pour effectuer des études ou pour acquérir de l’expérience. Toutefois, le retour au péï est une étape que peu parviennent à franchir et non sans difficultés. "On nous vend la France comme l’Eldorado, mais personne ne nous parle des difficultés que l’on peut rencontrer comme le racisme, le froid et les difficultés provoquées par l’éloignement de sa maison et de sa famille."
Scylla Jelani revient sur sa propre expérience, mais également sur celles de sa communauté qui rencontre régulièrement les mêmes obstacles. "Quand nous postulons pour revenir à La Réunion, nous avons droit à des remarques, à des questions ou à des propositions dissuasives", fait savoir la militante.
En effet, on a déjà proposé à Scylla Jelani et à des membres de sa communauté de revenir sur l’île à condition d’accéder à un poste inférieur à celui pour lequel ils postulent ou de renoncer aux primes auxquelles ils ont droit. Parmi les remarques récurrentes, elle a déjà eu droit à "vous pourrez attiser la jalousie de vos collègues avec votre prime vie chère", "on n’est pas là pour payer votre billet de retour" ou encore "vous prendrez la place d’un vrai Réunionnais." Cette dernière pose problème aux Réunionnais de Métropole qui se voient ainsi dépouillés de leur identité pour avoir vécu en Hexagone. "Si préférence régionale il y a, il faut bien définir ce qu’est un Réunionnais, c’est-à-dire quelqu’un qui est né, a des origines et des attaches à La Réunion. J’ai des attaches à La Réunion, ma famille est à La Réunion. Je vis depuis plusieurs années en Métropole, mais je suis Réunionnaise", insiste-t-elle.
La question suivante déstabilise parfois les Réunionnais qui postulent pour un emploi chez eux : "êtes-vous Réunionnais ?" "Cette question est déstabilisante, car on sait que dans certains cas, si on répond par la positive, on prend le risque de ne pas être pris. C’est ce que cette étude confirme", ajoute la Réunionnaise.
Depuis qu’elle dénonce la discrimination à l’embauche des Réunionnais en s’appuyant sur des expériences, des témoignages et un constat global, Scylla Jelani a eu droit à l’étiquette de "raciste anti-zorey". Une accusation qu’elle conteste : " l’amour des miens n’est pas la haine des autres."
Une remarque qui ressort régulièrement lorsqu’elle dénonce cette discrimination : "kréol lé parèss." Selon Scylla Jelani, celle-ci était censée justifier le taux élevé de chômage chez les Réunionnais. Avec la publication de cette étude, la militante est confortée dans son combat. "Si le Réunionnais ne travaille pas, ce n’est pas forcément parce qu’il n’en a pas envie ou qu’il est paresseux. Souvent, on lui retire une opportunité en faveur de Métropolitains. Certains se voient donc contraints de quitter leur île pour partir en Métropole. Quand on voit le nombre de Réunionnais qui sont capables de faire ce sacrifice, on ne peut pas dire qu’ils sont fainéants."
Au sujet de cette étude, Scylla Jelani considère qu’il s’agit d’un argument supplémentaire qui vient confirmer ce qu’elle et beaucoup de Réunionnais dénoncent déjà. Beaucoup de membres de sa communauté sont venus à elle pour leur faire part de leur soulagement. "Certains m’ont dit qu’à chaque fois qu’ils faisaient face à un refus de mutation, ils se sentaient fautifs et pensaient qu’ils n’étaient pas assez compétents. Cette étude malheureuse leur a redonné confiance en eux. Ils ont réalisé que le problème ne venait pas d’eux."
“Maintenant que la discrimination est révélée au grand jour, que va faire le gouvernement ?” se demande Scylla Jelani.
Élisabeth Moreno, ministre en charge de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la diversité et de l’égalité des chances s’est dite “catastrophée” lorsque l’étude a été publiée. Toutefois, Scylla Jelani reste sceptique : “Ce n’est pas une nouveauté. Tout le monde était déjà au courant. Le CNARM a déjà subi un blocage. Les politiciens de La Réunion sont au courant, ils font même des promesses de changement à ce sujet. On espère toujours que des actions seront menées." Toujours selon Scylla Jelani, le changement doit également venir des Réunionnais : “on doit aussi donner sa chance à nos camarades Réunionnais.”
Laëtitia Bègue