Vous êtes enchaîné à votre smartphone de jour comme de nuit ? Vous craignez de manquer ce qui se passe sur vos réseaux sociaux ? Vous développez peut-être une crise de FOMO ("Fear of missing out", soit la "peur de manquer quelque chose" en anglais). Pour tenter d’y remédier, des développeurs ont mis en place de nouvelles fonctionnalités telles que le mode nuit, limiteurs d’applications, de notifications pour les JOMO ("Joy of missing out", soit le "plaisir de manquer quelque chose").
« Le stress numérique est-il une pathologie sociale ? », Rémy Bourgogne, enseignant en Sciences Économiques et Sociales avait à cœur de traiter ce sujet pour Linfo.re !
« Lorsque je lâche prise sur ce que je suis, je deviens ce que je pourrais être ». Lao Tseu
J’aimerais aborder avec vous un sujet qui me trotte dans la tête depuis un moment : la charge mentale que représente le fait de vouloir répondre instantanément aux messages reçus !
Marie-Pierre Fourquet-Courbet, professeure en Sciences de l’information et de la communication à l’Université d’Aix-Marseille, appelle cela le « stress numérique ». Selon elle, « on n’hésite pas à arrêter nos activités pour répondre [à nos messages] ».
Je l’avoue, c’est mon cas : il m’arrive d’arrêter ma voiture pour répondre à un sms ! C’est fou je le sais, mais ne vous inquiétez pas, je ne touche pas à mon smartphone en conduisant...la vérité si je mens !
Marie-Pierre Fourquet-Courbet nous dit aussi qu’à vouloir à tout prix répondre à nos messages, on se met la pression car « on craint de provoquer un conflit, de ne pas être accepté par les autres, d’être exclu du groupe ».
Effectivement, vouloir répondre à tout prix à ses messages, c’est quelque part ne pas vouloir décevoir l’autre et l’autre compte dans le rapport à soi. Que va-t-il, que va-t- elle penser de moi ? C’est sans doute important, je dois répondre !
« Nous ne sommes nous qu’aux yeux des autres et c’est à partir du regard des autres que nous nous assumons comme nous-mêmes » disait Jean Paul Sartre...alé konprann ou !
Appelons un chat, un chat ! Le « stress numérique » relève de l’addiction aux outils numériques, et il touche les individus de tout âge. En effet, je le retrouve, par exemple, chez mes élèves. Ainsi, il leur arrive de recevoir des messages en cours : oui, certains ne mettent pas leur téléphone en sourdine et sont donc tentés ! Tentés de prendre leur smartphone, de répondre à leur message. A l’enseignant qui fait la moue et qui dit : « es- tu obligé de répondre ? » L’élève rétorque : « ben oui monsieur ! C’est important, c’est ma maman, on ne sait jamais, imagine néna in mort ? ».
Il m’arrive de penser tout haut et de répondre du tac au tac : « tu penses vraiment que ‘’le mort’’ va bouger et changer de place ? ». Je sais, c’est une blague de mauvais goût...on ne s’invente pas humoriste ! J’imagine alors l’élève se faire la réflexion : « Pff ! Prof-la lé an kouyon séryé ! ».
Au fait, suis-je moi-même tenté de répondre à mes messages en cours ? Bien évidemment que oui ! Mais j’ai une astuce, je mets mon téléphone en mode avion, pas de risque de se faire déranger...pas bête la bête !
Le fait de vouloir répondre à tout prix à un message dépend aussi de la nature de la relation que nous avons avec notre interlocuteur, sauf sans doute pour ceux dont le téléphone est le prolongement de leurs mains.
Après, vous avez ceux qui comme moi, veulent « faire plaisir », être « gentil » avec autrui. D’autres, comme cette élève qui me dit : « [répondre] nous délivre de quelque chose, on ne se sent pas coupable ».
Le « stress numérique » est à double sens. En effet, la non-réponse aux messages est aussi source d’angoisse pour l’émetteur de celui-ci. Ainsi, d’après une étude réalisé par le cabinet Occurence en 2019, 2/3 des personnes interrogées déclarent souffrir de la non-réponse. Mes élèves le disent eux-mêmes : « Lâcher des vus, c’est sauvage, c’est pire que tout, ça veut dire qu’on vous ignore ! [...] Ça veut dire que la personne n’a rien à foutre de nous ! ».
Pour les non initiés, « lâcher des vus », le ghosting de l’anglais ghost (fantôme), veut dire que la personne en face a pris connaissance du message, qu’elle l’a lu mais n’a répondu. L’enquête du cabinet Occurence nous montre aussi que les « ghostés » se sentent « humiliés, pas respectés, rejetés, pas aimés, blessés, pas considérés ». Ce qui peut amener à des situations ubuesques et pousser le « ghosté » à faire de la surveillance digitale : « on va aller voir si la personne publie dans sa story » me dit un de mes loulous ! Pour lui, « si la personne publie dans sa story, c’est qu’elle peut répondre aux messages ! ».
L’auteure Malene Rydahl a analysé ces situations dans son livre « Je te réponds... moi non plus » publié en février 2020. Pour elle, « la gestion des messages à l’ère digitale est devenue une véritable source de stress, et l’absence de réponse est à l’origine de nombreux malentendus ». N’est-ce pas ?
En définitive, est-ce que le « stress numérique » ou encore le ghosting ne sont pas des pathologies sociales de nos sociétés modernes ? Un signe que nos sociétés seraient malade ? Qu’en pensez-vous ?
Signé Rémy BOURGOGNE
« Rémy Bourgogne est né et habite au Tapage, un petit village des hauts de la Rivière Saint-Louis. Passionné de sociologie, d’anthropologie, d’économie et de sciences politiques, c’est tout naturellement qu’il s’est dirigé vers le métier de lamontrèr « enseignant » en Sciences Économiques et Sociales. Par ailleurs, Rémy est aussi un militant associatif et politique. Enfin, féru de musique, il est musicien amateur et écrit des chansons en créole ».
Source :
COURBET, Didier, Fourquet-Courbet, Marie Pierre, Connectés et heureux ! Du stress digital au bien-être numérique, Éd. Dunod, février 2020.
RYDAHL, Malene, Je te réponds, moi non plus - L’art de répondre et de comprendre les non-réponses à l’ère digitale, Éd.Flammarion, février 2020.