Nous avons choisi de vous proposer un reportage sur les coulisses du fonctionnement de la justice. Notre équipe a obtenu l’autorisation de suivre la procureure du sud de l’île. Une matinée dense avec Caroline Calbo comme elle en vit au quotidien depuis sa nomination en 2019, à La Réunion.
C’est le rituel de toutes les journées de permanence : la transmission. Le substitut du procureur qui a géré la nuit transmet à son collègue de jour l’ensemble des dossiers en cours. Il concerne l’ensemble des personnes arrêtées et mises en garde à vue, dossiers qui pourront faire l’objet de poursuites éventuelles. Ce matin-là, dix dossiers étaient sur la table de la procureure.
Au menu du jour : dix gardes à vue sont sur le feu. Des violences aggravées, conjugales, un refus d’obtempérer, ou encore une conduite en état d’ébriété.
Une sonnerie retentit, hop, casque audio vissé sur les oreilles, avec micro intégré pour ne pas avoir à tenir le combiné, et voilà une nouvelle que doit traiter la magistrate. Les doigts déchaînés sur son clavier, elle prend note des éléments donnés par les gendarmes.
Ils font le point pour savoir s’ils mettent fin à la garde à vue d’un couple. Ils ont passé la nuit en cellule de dégrisement pour la énième fois. Lorsqu’ils boivent ensemble, des coups pleuvent des deux côtés, alors qu’ils ont l’interdiction de se voir. “Si Madame dégrise, on la défère cet après-midi”, informe Caroline Calbo. La prévenue est pourtant déjà passée en audience deux jours auparavant. Il lui a bien été notifié de ne plus entrer en contact avec son ex-conjoint… Mesure qu’elle n’aura respectée que 24 heures.
À peine ce dossier mis en attente, la sonnerie retentit à nouveau. Autre garde à vue en cours, autre femme violente. Elle ne présente pas de trace d’alcoolisation, mais elle est en récidive. Cette nuit, la jeune femme n’aurait pas supporté une remarque de son conjoint. Elle l’a frappé et menacé de mort.
Les heures passent, le rythme devient effréné. Toutes les deux minutes en moyenne, c’est une nouvelle affaire qui est traitée par téléphone. Pour la magistrate d’astreinte, tous ces dossiers doivent être rapidement traités. En peu de temps une décision doit être prise. Garde à vue prolongée ? Déferrement ? Comparution immédiate dans la journée ou pas ? Ou remise en liberté ?
Méticuleuse et engagée, chaque minute est importante. Il s’agit de ne pas perdre un instant pour la procureure. Les dossiers sont minutieusement étudiés afin d’apporter la réponse adaptée au fait reproché : “Garantir le droit des libertés des citoyens est notre devoir. Un exemple concret, une garde à vue dure 24 heures. Il est important, si je décide de la prolonger, de bien respecter ce délai.”
Et là, il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg. À côté de cela, d’autres dossiers vont s’ajouter au fur et à mesure de l’avancement de la journée. Poursuite ou arrêt de recherches dans le cadre de disparus, gestion de nouvelles affaires, suivi d’autres dossiers en cours, réponse aux enquêteurs. Sans compter les multiples échanges entre membres de l’administration judiciaire.
Pour la procureure, impossible dans ce cas d’imaginer une pause café et même aller aux toilettes devient un véritable challenge. Ici, à La Réunion, chaque magistrat traite 3 000 dossiers par an. Alors que dans l’Hexagone leur chiffre tourne autour de 2 600 en moyenne.