Le Dr Bernard-Alex Gaüzère a fait paraître dans le Journal International de Médecine une publication portant sur le Covid-19 et l’Outre-mer français.
"Quo Vadis COVID-19 dans l’outremer français ?
Loin des yeux, loin du coeur, mais surtout loin de Mulhouse !
Réunion, Guyane, Mayotte1, Martinique, Guadeloupe, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin… Des destinations de rêve !
Tout comme la mère patrie mais au soleil (sauf Saint-Pierre-et-Miquelon), et sans avoir le droit d’aller à la plage, les départements français d’outre-mer (DOM) sont confinés.
Toutes les îles ? Non, sauf un petit village gaulois qui résiste : Saint-Pierre-et-Miquelon qui vient d’être déconfinée le 27 avril avec 1 seul cas de Covid-19 pour 6 000 habitants et un Canada voisin assez peu touché, sauf Montréal.
Une population plus fragile
Tout comme les territoires d’outremer du Pacifique (Tahiti, Nouvelle-Calédonie…) les DOM se caractérisent par une forte prévalence du diabète, de l’hypertension, des cardiopathies ischémiques, de l’insuffisance rénale, du surpoids, de l’obésité et par un taux d’alcoolisme beaucoup plus important qu’en métropole, qui exposera le foie encore plus aux effets toxiques du paracétamol, comme lors de l’épidémie de chikungunya à La Réunion en 2005-2006… Les ultramarins sont donc polypathologiques plus tôt que les métropolitains.
Des infrastructures sanitaires moins denses qu’en métropole et un splendide isolement
La densité de personnel soignant et d’infrastructures sanitaires est plus basse qu’en métropole, tout particulièrement en Guyane et surtout à Mayotte. Certes, en prévision, les murs ont été repoussés et des lits de réanimation ont été créés. Mais Mayotte ne dispose pas du personnel médical et paramédical supplémentaire nécessaire pour les armer et il faudra faire appel à la solidarité nationale et à la réserve sanitaire, déjà bien sollicitée au cours des semaines passées.
Une situation épidémiologique favorable, sauf…
Avec une moyenne de 0,4 hospitalisation pour 10 000 personnes, l’épidémie dans les DOM n’a rien à voir avec la moyenne nationale : 4,4 hospitalisations pour 10 000 habitants en moyenne, mais 15 hospitalisations pour 10 000 habitants dans le Val-de-Marne, 13 à Paris et 12 dans le Haut-Rhin.
À la différence de la métropole, et grâce à la fermeture rapide et quasi complète des aéroports avec mise en quarantaine systématique des rares arrivants dans des hôtels et test PCR avant la sortie du confinement, le coronavirus n’y circule pas encore de façon massive, sauf à Mayotte…
Une baisse d’activité partout, sauf…
Les soignants des DOM font face à une même baisse d’activité qu’ailleurs pour ce qui est des pathologies chroniques. Deux exceptions toutefois : le sud de la Réunion qui est confronté à une épidémie de dengue sans précédent et qui troquera dès le mois de juillet les 3 virus de la dengue contre les virus de la grippe saisonnière et Mayotte.
Mayotte : l’île aux parfums sur un baril de poudre
Avec une trentaine de cas nouveau chaque jour pour environ 270 000 habitants, sans compter les clandestins des Comores voisines qui vivent dans des conditions déplorables sans eau courante et avec peu d’accès aux soins, Mayotte est source grandissante de toutes les inquiétudes. Dominique Voynet, ancienne ministre et directrice de l’ARS de Mayotte a récemment déclaré que Mayotte est en face du mur, car le manque de compréhension des mesures barrières par la population, les conditions de vie difficiles, le manque d’eau et la faiblesse du système de santé, exposent les deux îles de Mayotte à des lendemains qui vont déchanter.
D’autant que malgré les dénégations du gouvernement de la Fédération des Comores qui estiment leur pays indemne du virus (le pays ne teste pas…), des Français sont rentrés des Comores à Mayotte, porteurs du virus. L’immigration clandestine ou le recours au système de soins de Mayotte, risque donc de multiplier le nombre de cas de Covid-19.
Le porte-hélicoptères Mistral qui forme les officiers-élèves de la Marine nationale a été dérouté de sa mission initiale qui devait lui faire toucher l’Australie et assure désormais la logistique entre Mayotte et La Réunion, transportant 300 tonnes de matériel de La Réunion à Mayotte. Mais il ne s’agit pas d’un navire hôpital. Tout comme le bâtiment le Dixmude de la Marine nationale a été affecté aux Antilles.
Il n’y aura pas de TGC médicalisé entre les DOM et la métropole
À des milliers de kilomètres de l’hexagone, presque tous nos échanges passent par Paris, et les DOM manquent encore de masques et de produits anesthésiques, ce qui empêche par exemple à La Réunion, la reprise des activités chirurgicales non urgentes, les stocks de curare étant préservés pour le service de réanimation du CHU Nord qui a accueilli une quinzaine de patients, en a guéri 13 et n’ encore eu à déplorer aucun décès. Mais avec le retour massif des ultramarins de métropole à l’occasion des vacances, la deuxième vague de Covid-19 pourrait déborder les structures sanitaires, d’autant qu’elle se conjuguerait à la dengue et à la grippe de l’hiver austral, dans les DOM-TOM de l’hémisphère sud : Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Tahiti. Alors, autant garder précieusement des stocks de produits anesthésiques, au cas où…
L’exception réunionnaise
Comme dans les autres DOM, le confinement intervenu très précocement– et a pu à première vue paraître démesuré au regard de la situation réunionnaise – a donc été une chance. Grâce à ce temps d’avance, il a été possible de tracer les contacts des quelques cas positifs quotidiens. À La Réunion, les trois-quarts des 418 cas identifiés ont été importés de métropole et de l’étranger par des vacanciers de retour – donc des gens jeunes et en bonne santé, comme les premiers cas notifiés en Allemagne chez des skieurs de retour du Tyrol – lesquels ont été priés de rester confinés chez eux dans un premier temps.
Afin de protéger l’île, depuis un mois, il n’y a plus que 150 passagers qui arrivent de métropole par semaine en trois vols, soit environ quelques pour-cent du trafic habituel (10 000 retours par jour en période de vacances). Ces personnes sont obligatoirement confinées dans un hôtel – aux frais de la princesse - et ne peuvent sortir du confinement que lorsque le test PCR est négatif au 14ème jour. Ces mesures se sont traduites par très peu de cas autochtones secondaires et la quasi absence de cas autochtones. Les résidents des EHPAD n’ont pas été touchés par le virus, contrairement à la métropole ou leur nombre de décès compte pour 40 % des décès totaux. Au plan de l’épidémie, il semble donc exister une exception réunionnaise, du moins, à ce jour., d’autant qu’aucun décès n’a encore été imputé au Covid-19.
Un complexe pathogène à décrire : dengue et coronavirus
D’autant que les maladies chroniques ne sont pas seules en cause. Le coronavirus vient s’ajouter aux épidémies de dengue des Antilles, de Mayotte, de La Réunion, de la Guyane et du Pacifique, tout comme à… Singapour !
Le fait d’être en milieu tropical, est-ce un atout ou un handicap dans le cadre d’une épidémie ?
Il est établi que l’immunité humaine est plus forte en été qu’en hiver. Il est bien connu que le déficit en vitamine D (par manque d’exposition au soleil), comme par exemple en région parisienne et dans le grand Est de la France en fin d’hiver, diminue les défenses immunitaires et expose à plus d’infections. Cette carence en vitamine D est vraisemblablement moindre à la Réunion qu’en fin d’hiver dans certaines régions métropolitaines. Ce moindre déficit en vitamine D de la population expliquerait-il la moindre fréquence du Covid-19 dans l’ouest et le sud de la France ?
Il est bien connu que les rayons ultraviolets du soleil endommagent l’ARN et donc celui des virus, les rendant donc moins longtemps présents dans notre environnement.
De plus, pouvoir vivre dehors, réduit les risques de promiscuité au sein de la famille et donc les risques de transmission du virus au domicile. Or, en matière de coronavirus, la transmission intra-familiale est importante.
Casse pas la tête : la plie y farine, soleil va revenir"
Après la pluie le beau temps…
Dr Bernard-Alex Gaüzère
Saint-Denis-de-La Réunion, le 28 avril 2020."