Suite à l’observation d’un "nuage de bibes" dans les Hauts de Saint-Paul, de nombreuses questions sont restées en suspens : Pourquoi il y a des grandes et des petites araignées ? Pourquoi se sont-elles toutes regroupées ainsi, parfois à seulement quelques millimètres les unes des autres ? etc. Grégory Cazanove, un spécialiste des araignées a répondu à nos questions !
Grégory Cazanove est l’un des deux seuls aranéologues entomologistes de La Réunion. En poste à l’Observatoire des Araignées de St-Denis, il a tenu nous fournir des informations sur les bibes : une espèce bien connue à La Réunion dont on a peu d’études...
"Ainsi, le comportement de regroupement reste exceptionnel et cela dépend des espèces. Or, celui des Néphiles n’a jamais été étudié concrètement dans le contexte réunionnais", explique M.Cazanove.
Contrairement à ce que le riverain a suggéré aux passants qui ont observés le "nuage de bibe" à Saint-Paul, le spécialiste précise qu’ "il n’y a pas de saisonnalité pour les regroupements des néphiles. L’observation dans les Hauts de St Paul est juste un exemple de localité parmi d’autres où l’on peut observer ce comportement. Par exemple, ce comportement a été observé à La plaine des Cafres."
Pour avoir un élément de comparaison et tenter de comprendre ce qui s’est passé, M.Cazanove se réfère à une étude sur une espèce proche : la "Trichonephila clavipes", une espèce dont la répartition s’étend des Etats Unis à l’Argentine.
Menée sur 4 ans, cette étude met au jour plusieurs facteurs qui expliqueraient un tel rassemblement :
- "Cela dépendrait de la taille des individus : les petits individus ont tendance à se regrouper et même à initier les regroupements près de plus grands spécimens"
- "Cela varier dans le temps : il n’y a pas de saisonnalité a priori. D’une année à une autre, il n’y a pas plus de regroupements."
- "Cela varie en fonction l’environnement avec la structure et la disponibilité de l’habitat (végétation)."
- "Cela varie selon l’abondance ou non des prédateurs, qui varie également dans le temps et selon l’environnement."
Au moins, ces facteurs influencent sur la décision des araignées de se regrouper ou non et montrent que les rassemblements sont donc optionnels.
"Il semblerait même que ce comportement soit variable selon les populations. À titre d’exemple, les ’T.clavipes’ des États Unis se regroupent selon les densités de populations et la disponibilité de la structure de l’habitat (végétation) pour l’établissement de toile. À l’inverse, au Pérou, le principal facteur explicatif des regroupement est l’abondance des proies", énonce l’aranéologue.
Insiste Grégory Cazanove. Selon lui, : "les rassemblements permettent de diminuer les risques de prédations (par les oiseaux ou d’autres araignées par exemple) ou les risques de parasitisme (par des parasitoides)." En effet, il a été montré que la prédation était plus importante pour les araignées solitaires que pour les araignées regroupées. Les petits spécimens regroupés seraient 2 fois moins mangés que les solitaires.
Se rassembler permettrait aussi d’avoir plus de succès dans la reproduction. M.Cazanove cite cette fois une autre étude, menée dans la région australienne, sur les "Trichonephila plumipes". Cette étude montre que ce succès vient de la taille : "les mâles de petite taille sont moins détectés par les grosses femelles et donc moins mangés."
Pourtant, les rassemblements ont aussi des désavantages. Par exemple, ils peuvent augmenter la compétition entre les araignées pour la nourriture. Il y a donc un coût ! En effet, les rassemblements entrainaient une diminution de la taille des toiles et donc du nombre de proies capturés.
"Les rassemblements sont donc une histoire de compromis entre survie et compétition alimentaire." conclut l’aranéologue. Ce type de rassemblement reste donc assez rare. Attention, spectacle à regarder uniquement avec les yeux !
La taille de leur population à la Réunion est inconnue cependant, certains perçoivent une diminution. Si le ressenti n’a pas de place dans le monde scientifique, rappel le spécialiste, des menaces potentielles ont été identifiées :
- l’utilisation de pesticides/insecticides.
- la destruction de l’habitat, l’une des causes principales de perte de biodiversité au niveau mondial !
- la présence du merle de Maurice dont plusieurs observations font mention de prédation directe sur la bibe.
- l’impact du réchauffement climatique.
Finalement, il faut les regarder avec les yeux ! Les observer sans les déranger c’est leur offrir la possibilité de s’installer dans son jardin avec une diversité de végétation et sans perturbation (pas pesticides). Assurer une diversité de végétation c’est attirer des insectes pollinisateurs et autres insectes dont les araignées se nourrissent !