Ce jeudi 5 mai, une vidéo prise en métropole par une famille réunionnaise a fait le tour des réseaux sociaux. Sur cette dernière, alors que le groupe est en train de pique-niquer, une femme s’en prend verbalement à eux avec des propos racistes. Les victimes ont bénéficié du soutien de nombreux Réunionnais, dont beaucoup qui ont eu à subir des situations similaires en métropole. Trois d’entre eux ont accepté de témoigner pour LINFO.re.
Une famille réunionnaise a été victime de propos racistes en métropole, alors qu’elle déjeunait. La vidéo, très relayée sur les réseaux sociaux, a permis de libérer la parole pour plusieurs Réunionnais qui ont également subi du racisme en métropole.
Sam vit en métropole depuis 2017. Quelques semaines après son arrivée là-bas, dans le cadre de ses études, la jeune femme a eu droit à sa première remarque déplacée. "Durant une évacuation, un élève de ma promotion, que je connaissais à peine, a dit haut et fort que c’était à cause moi qu’il y avait une évacuation, parce que je ressemblerais à une terroriste. J’étais tellement sous le choc que je n’ai pas répondu. Personne n’a réagi autour de moi, personne n’a été surpris", raconte-t-elle.
Cette expérience n’a été que la première d’une longue liste, malheureusement. La dernière date d’il y a seulement quelques semaines. Comme Sam a des origines yab et malbaraise, elle passe régulièrement pour une Arabe auprès des habitants là-bas, ce qui est loin d’être à son avantage. "Plein de fois, des hommes m’ont arrêté dans la rue. Ils me voyaient comme non française, me parlaient dans une autre langue que je ne connais pas et me proposaient des services sexuelles. En tant que femme, je subis quotidiennement des agressions du genre, mais le fait que je suis racisée empire les choses."
Olhivier vit à Paris depuis deux ans. Sa mère est métissée et son père est yab, ainsi, le jeune homme se décrit physiquement comme quelqu’un de tout blanc, ce qui laisse planer le doute quant à ses origines auprès de métropolitains. "Quand je dis que je suis Réunionnais, on me répond souvent que je suis trop blanc pour être Réunionnais. On pense que je m’invente des origines."
Pourtant, une fois qu’il laisse sa kréolité s’exprimer à travers son kozé, il a droit à des remarques tout aussi désobligeantes. "Quand on parle en créole avec mon meilleur ami, on nous dit qu’il faut parler français, qu’on n’est pas dans notre pays et qu’on ne peut pas y parler notre patois", dit-il.
Olhivier a droit à des remarques de même deux à trois fois par mois. Une expérience qui est aussi le résultat du manque de connaissances de ces agresseurs sur les territoires ultramarins. "Ce qui me dérange le plus, c’est de voir qu’en 2022, des personnes ne comprennent pas que La Réunion, c’est la mixité. Cela me dérange de devoir me justifier sur ma couleur de peau parce que des gens sont incapables d’arrêter les clichés", déplore le jeune homme.
Entre 2012 et 2016, Julien a fait ses études supérieures dans le Sud-Est de la France, dans une école de commerce. Un de ses camarades de classe a alors décidé de le surnommer "négro", surnom qu’il n’a pas accepté. "D’autres camarades et lui se justifiaient en disant que c’était juste un surnom et qu’il fallait prendre ça avec humour. Sauf que j’étais la seule personne à avoir un surnom associé à une ethnicité", raconte-t-il.
La nationalité même du Réunionnais était remise en question : "On m’a aussi demandé plusieurs fois comment j’avais obtenu un passeport français et où est-ce que j’avais appris à parler français. Aussi, j’étais boursier. Viennent ensuite les blagues sur le fait que leurs parents auraient payé des impôts pour financer ma bourse, sans penser que mes parents payent leurs impôts, eux aussi."
Un camarade de classe s’était fixé dans l’idée que les Réunionnais de l’école avaient obtenu leur place dans des programmes d’excellence sous couvert de politique sociale qui réclame une certaine mixité. Ils justifiaient ces explications par le niveau scolaire "inférieur" des Réunionnais. Une autre remettait en cause la partialité des professeurs lorsque Julien avait de meilleures notes, cette fois-ci, sous couvert d’un "avantage étranger."
S’être fait traiter d’étranger a engendré chez Julien beaucoup de réflexions quant à son identité. "Quand on grandit à La Réunion, on nous répète qu’on est des Français à part entière, ce qui ne nous prépare pas à notre arrivée en Hexagone, où les gens ne nous considèrent pas forcément comme les leurs." Le jeune homme a choisi de vivre en Angleterre où il n’a plus à se sentir étranger dans son propre pays."Je pense qu’on devrait s’éloigner de cette compétition malsaine dans laquelle on essaye de prouver notre français-ité. Je me présente aujourd’hui comme un Réunionnais ayant la nationalité française", conclut-il.
Laëtitia Bègue