Présentés en octobre 2020, les bacs marrons à Saint-Denis sont destinés à la collecte des déchets biodégradables. Près de dix mois plus tard, des centaines ne sont toujours pas déployés. L’intercommunalité reconnaît une mauvaise communication et met en avant la crise sanitaire comme justification dans le retard pris. Pour un coût de 4,7 millions, la Cinor continue son travail de terrain pour inciter les Dionysiens à s’associer au dispositif.
"Bio déchets : la Cinor is bac (marron) ! ". En octobre 2020, la collectivité employait cette formule pour communiquer sur l’installation des bacs marrons dans la commune de Saint-Denis. Près de dix mois plus tard, ils signent lentement leur retour. Au contraire, de nombreux bacs attendent dans un parking à Sainte-Marie. Au milieu des champs de canne, un champ de bacs marrons à perte de vue et dissimulé derrière les palmiers s’est installé.
Dans son rapport "Développement durable préalable aux orientations budgétaires" de 2020, la Cinor prévoit le déploiement de 30 000 bacs 120 litres en habitat et de 3 000 bornes collectives de 2 m3 pour les habitats collectifs. Chaque foyer disposera d’une petite poubelle de 10 litres et de 105 sachets plastiques compostables. Aujourd’hui 8200 bacs et accessoires ont été livrés aux foyers dionysiens. Leur déploiement est loin d’être terminé. Dans les chiffres communiqués par la Cinor, les 30 000 bacs de 120 litres ont coûté 1,4 million d’euros et les 3 000 bornes d’apports volontaires à biodéchets ont été acquises pour 3,3 millions d’euros. Un total de 4,7 millions d’euros.
L’intercommunalité assure que la taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’évoluera pas les prochaines années. "En effet, l’économie réalisée sur les coûts de traitement (avec des tonnages exonérés), de même que le recours à des camions bi-compartimentés et les mesures d’optimisation des coûts antérieurs permettent de garantir qu’il n’y aura pas d’augmentation de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) pour les prochaines années", souligne la Cinor.
L’histoire des bacs marrons remonte à fin 2020 où du jour au lendemain, les 300 poubelles collectives destinées aux épluchures de légumes, fruits, fleurs fanées, restes de repas, marc de café, œufs et autre ont envahi les rues du chef-lieu. Le nouveau venu, en plus du bac gris et jaune avait surpris les Dionysiens qui n’avaient jamais été avertis en amont. "Ils sont apparus en début d’année 2021 au bas des différents immeubles du quartier mais sans explication. Avec ma femme on s’est d’abord dit qu’il s’agissait de bacs pour les encombrants, les végétaux ou le verre mais sans en savoir plus", précise Nicolas, un habitant de Sainte-Clotilde. Pour Karine, une habitante de la Bretagne, les interrogations sont toujours les mêmes, dix mois plus tard. "Je ne comprends pas pourquoi ils mettent ça. On ne nous a jamais expliqué à quoi ça servait", précise-t-elle.
Au moment de leur installation, les voix des riverains se font entendre. Ils se plaignent de leur positionnement. Trottoirs bloqués, places de parking occupées, vue des automobilistes ou des piétons gênées par les poubelles, les arguments sont multiples. L’intercommunalité réagit et procède à un rétropédalage en retirant certains de ses bacs ou les déplace. "Concernant la problématique des emplacements et des bornes obstruant les trottoirs, lors de la livraison de nouveaux équipements, il est prévu une phase d’ajustement. L’ensemble des emplacements est ainsi revisité avec les services de la Ville et les bailleurs pour valider ou non ces emplacements. L’arrêt aujourd’hui des livraisons permet de prendre ce temps de concertation en y associant le plus largement les partenaires", explique la Cinor.
Lors d’une conférence de presse en octobre 2020, la Cinor reconnaissait son manque de communication. "Tous les bacs qui sont sur les trottoirs doivent être enlevés, car les trottoirs sont destinés aux piétons, les poussettes ou les fauteuils roulants, mais pas pour les poubelles”, avouait Ericka Bareigts la maire de Saint-Denis. "Nous innovons à la Cinor et sommes bien en avance par rapport à l’obligation. Nous profitons qu’un marché soit arrivé à terme l’année dernière pour mettre en place une collecte de biodéchets et faire du compost qui sera donné aux administrés qui le souhaitent", soulignait Maurice Gironcel, le président de la Cinor.
La loi anti-gaspillage du 10 février 2020 oblige les collectivités à traiter les biodéchets avant le 31 décembre 2023. Sur le papier, le projet se justifie de lui-même. L’économie circulaire fonctionne et les déchets ne sont pas enterrés. Seulement, la communication et la chronologie choisie par l’intercommunalité interroge. "S’agissant de l’utilisation des bacs, à l’odeur on est tenté de dire qu’ils sont bien utilisés mais je n’ai pas vérifié à l’intérieur. Personnellement je trouve l’initiative intéressante bien que la communication autour du dispositif soit légère", précise l’habitant de Sainte-Clotilde. Grâce à des camions bi-compartimentés, la collecte est réalisée deux fois par semaine et semble porter ses fruits.
"Depuis le démarrage de cette nouvelle collecte, il est confirmé une montée en charge du tonnage de biodéchets. A ce jour, nous comptabilisons 20 tonnes/mois pour 8 200 foyers desservis. Soit 13.6 kg/hab/an. Pour rappel, l’objectif initial est fixé à 40kg/hab/an pour un tonnage total sur St Denis de 2 000 tonnes la première année. Soit une moyenne escomptée de 13kg/hab/an. L’objectif fixé semble donc atteint sur cette première tendance", avance la Cinor.
Pour mieux avancer sur le projet, des médiateurs de la Cinor et de Saint-Denis sont mobilisés. Ils vont de porte à porte, d’immeuble à immeuble, avec le même message. Leur objectif est d’expliquer l’utilisation de ces nouvelles poubelles. En même temps, 33 000 poubelles marrons destinées à la collecte des déchets biodégradables dans les résidences individuelles et collectives sont distribuées. "Nous n’avons pas eu le plaisir de rencontrer des médiateurs mais il semble qu’il y ait des équipes chargées de cela car nous avons trouvé il y a une quinzaine de jours un petit bac avec des sachets posé devant la porte de notre domicile, souligne le Dionysien. Ils sont certainement passés pendant nos heures de boulot. Même schéma à l’entrée de mes locaux pros qui sont situés dans une maison individuelle".
Pour la Cinor, la responsabilité de ce retard est à mettre sur le dos de la crise sanitaire. Initialement, la collecte devait débuter en octobre 2020, après une campagne de communication entre juin et septembre 2020. "La crise sanitaire mondiale du COVID est venue bouleverser ce calendrier, par une période de confinement instaurée en France à compter du 17 mars 2020. Soit à peine 5 jours après la notification du marché. Le confinement a duré jusqu’au 11 mai 2020. Durant toute l’année 2020, l’actualité sanitaire a empêché le lancement de la campagne de communication et de distribution des contenants et accessoires", rappelle la Cinor. En passant en décembre 2020 “une convention de partenariat avec la fédération dionysienne d’éducation populaire (FEDEP)”, la Cinor veut "conforter la stratégie de communication de proximité et assurer ainsi le démarrage de la campagne de distribution des bacs de bio déchets pour mars 2021".
Sainte-Suzanne et Sainte-Marie devraient aussi bénéficier de ce dispositif en 2026, lorsque le contrat des bacs jaunes arrivera à ce terme. Pour l’heure, un projet pilote "Alon Komposté" est expérimenté. Une expérimentation de bio-composteur de cuisine auprès de familles volontaires de Sainte-Marie et de Sainte-Suzanne. "Ce projet pilote, appelé « Alon komposté », vise à proposer une autre alternative à la collecte collective et à accompagner le changement de comportement des citoyens pour réduire à la source les biodéchets".
Néanmoins, la Cinor avoue réfléchir à deux fois et tirer les leçons de sa première expérience. "À ce moment-là, nous installerons le dispositif, sachant que nous nous sommes donnés un peu de marge pour tirer les leçons de l’expérience dionysienne pour pouvoir l’adapter à Sainte-Marie et Sainte-Suzanne", avance la Cinor.
En attendant, la totalité de la population dionysienne n’est pas encore convaincue. En ouvrant certains bacs, les déchets sont des bouteilles en verre ou de déchets ménagers comme les restes d’un fast-food. Des déchets loin d’être biodégradables. "C’est de l’argent public gaspillé. Personne ne les utilise. Pourquoi, ont-ils été installés et à quoi servent-ils ? On aurait pu mettre des petites poubelles dans la résidence ou à côté des arrêts de bus où il en manque", conclut Karine.