Ancrée sur l’île de La Réunion depuis le XVIIIe siècle, la Franc-Maçonnerie a fait son chemin, discrètement ou pas, au cœur de la vie réunionnaise - politique, sociale, ou encore des médias. Mais comment réussir à faire partie de cette société plus si secrète ? PAS FACILE ! La spiritualité, la condition de l’Homme ou encore les sociétés secrètes, c’est donc le discours que j’ai servi pour tenter d’entrer dans la franc-maçonnerie.
Récit de Coralie P.
Parler de cette société secrète avec le premier venu est facile mais avec les concernés un peu moins, puisqu’il faut déjà les trouver. Mais après tout, j’étais persuadée que la franc-maçonnerie était faite pour moi.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à parler de mon projet avec Martine*, une femme que je connais depuis de nombreuses années. Je lui ai exposé ma vision de cette société, de mon désir d’y entrer et lui ai demandé son point-de-vue sur la question. Ce qu’elle m’a dit ensuite m’a laissé cloué sur place : "Coralie, je fais partie de la franc-maçonnerie."
Des débuts assez confus
Au fil de nombreux rendez-vous, Martine m’a expliqué comment elle était devenue maçon et pourquoi elle avait voulu les rejoindre. "À mon époque c’était quand même un honneur d’y être accepté. Ça me donnait l’impression que l’intelligence féminine était reconnue." Habitant à Paris lors de sa demande, Martine est revenue avec moi sur son initiation à la Grande Loge Mixte de France. Étonnamment, il n’y avait quasiment aucune différence avec ce que j’avais pu en lire. "L’initiation est tout de même un rite que je qualifierai d’éprouvant physiquement et psychologiquement".
Au cours de plusieurs recherches et conversations avec mon amie franc-maçon, j’ai appris que les démarches pour entrer dans la-dite société avaient bien changé. Loin de me décourager j’ai fini par annoncer à Martine que j’étais prête à intégrer la franc-maçonnerie. Elle m’a donc conseillée de commencer par chercher à quelle loge je voulais appartenir : "même si tu ne trouves pas beaucoup d’informations sur les loges ici, fait ton choix selon une affinité que tu pourrais ressentir."
Une société secrète à La Réunion
En parallèle, j’ai pu, grâce à des amis, entrer en contact avec Jean* retraité originaire d’Algérie. Franc-Maçon depuis plus de 20 ans et bien ancré dans la société "secrète" réunionnaise. Au départ, il semblait se faire une joie de me rencontrer, d’échanger avec moi et même de me préparer à une éventuelle initiation dans sa loge. Nous avons parlé au téléphone plusieurs fois mais malgré mon insistance je n’ai jamais pu le rencontrer. Il faut savoir que Jean est membre d’une loge masculine.
D’un tempérament qu’on pourrait qualifier de révolutionnaire, il voulait ouvrir sa loge à un ’public’ mixte. Pourquoi pas commencer par moi ? Et pourtant, il a soudainement changé d’avis. Il ne répondait plus à mes appels jusqu’au jour où il m’a fait savoir que malgré ses demandes les membres de sa loge m’avaient refusé.
Pourquoi ? Parce que j’étais une fille ? Ou pensaient-ils que ce n’était que de la curiosité mal placée ? Je ne connaîtrais jamais réellement les raisons. Une seule chose m’est revenue : "Nous ne sommes pas des singes de laboratoire que l’on peut observer comme bon nous semble." Bien qu’un peu maladroite ma demande avait l’air de les avoir offensé.
Un rapide passage à l’Étoile Flamboyante
Ne perdant pas espoir je me retourne donc vers une autre loge, celle de l’Étoile Flamboyante. Cette dernière étant un symbole extrêmement ancré dans la société. N’ayant pas plus d’informations que cela sur la loge, à part sa mixité et sa localisation dionysienne, je décide d’y faire ma demande avec l’aide de Martine.
Heureusement, avant mon premier rejet, Jean et moi avons eu plusieurs fois l’occasion de converser au téléphone. Il m’a alors informé des démarches, interminables, nécessaires avant de procéder à la tant attendue initiation. Jean m’expliquait par ailleurs que : "Toutes ces démarches font partie de ton initiation. La plupart des gens ne voient que la part ’extraordinaire’ et ancienne de l’initiation. Les yeux bandés, la corde autour du coup, le guide. Mais aujourd’hui c’est bien plus que ça."
Des mois de préparation intense
Plusieurs mois de préparation sont nécessaires, quelques fois pour en déboucher sur un refus catégorique. Qu’est-ce qui pourrait être pire, être rejeté sans même avoir eu l’occasion de faire ses preuves ? Ou l’être parce qu’on vous considère, tout simplement, pas assez intelligente ? En tout cas je me suis lancée. Et Jean n’avait pas tort, de la paperasse à perte de vue.
"Es-tu prête à travailler sans relâche à ton perfectionnement ?"
Les qualifications nécessaires pour devenir franc-maçon varient selon les loges mais, la demande de candidature reste la même partout. Tout d’abord, plusieurs critères doivent être respectés. La première étant la majorité, il faut donc avoir au minimum 18 ans. Certaines loges exigent même à ce que les demandeurs soient âgés d’au moins 21 ans. Ce qui n’est pas un problème pour moi du haut de mes 25 ans.
Puis, il faut répondre à certains critères moraux ce qui, selon les textes anciens, revient à être "libre et de bonnes mœurs". Martine m’explique alors : "En résumé il faut leur faire comprendre que tu es là de ton plein gré et que tu es prête à t’engager pleinement."
À ce stade-là, tout paraît simple et on se prend même à croire qu’on peut réussir comme si entrer dans une société secrète était aussi facile que de franchir le pas d’une porte. Même s’il y a des critères à respecter, certaines choses ne rentrent pas en ligne de compte dans l’examen d’une candidature. "Ton salaire, ta position sociale, tes diplômes, ton orientation sexuelle ou tes opinions politiques, tout ça n’a aucune importance", me détaille Martine. Rien de bien différent de ce que j’avais lu jusqu’ici et je ne vivais pas en couple donc aucune raison d’avoir l’avis de mon conjoint sur ma demande.
Mais ce n’est qu’après que je me suis rendu compte que j’étais déjà testée. Martine commençait à me poser des questions assez déroutantes. Ce qui m’a fait comprendre que même ces démarches administratives sans fin faisaient partie de mon initiation.
"Es-tu prête à travailler sans relâche à ton perfectionnement ? As-tu une opinion favorable de la franc-maçonnerie ? Es-tu prête à suivre les règles ?"
Questions auxquelles, avec un peu de recul, j’aurais dû être plus préparée. Martine m’informe ensuite qu’une fois tous les critères revérifiés par des membres de la loge, le Vénérable me fera parvenir un dossier de candidature. "C’est un peu comme un questionnaire, un CV de ta vie. Ils te demanderont aussi une sorte de lettre de motivation où tu devras une fois de plus expliquer pourquoi tu veux rejoindre la société."
De longs jours d’attente
Questionnaire que près d’un mois plus tard Martine m’a remis en main propre. Des questions de bases semblable à un dossier d’inscription où j’ai eu l’impression de devoir raconter qui j’étais dans les moindres détails – âge, métier, langues parlées, pays visités, pratique religieuse, etc. Le plus dur a été de rédiger ma lettre d’explication. Point sur lequel Martine n’avait pas le droit de m’aider, c’était à moi de savoir quoi dire. Et comment expliquer cette envie sans la faire passer pour de la curiosité ?
Après avoir disserté sur la question j’ai finie par remettre mon dossier complété à Martine qui devait le faire parvenir au ’Vénérable Maître’ de la loge. Étape dont j’avais déjà discuté avec Jean : "Si tu arrives à remplir ce dossier il ne reste plus qu’une ou deux choses. Le Maître le présentera à la loge et si les membres t’acceptent, il désignera 3 personnes qui seront chargées de te rencontrer." Des sortes d’enquêteurs hauts gradés dans la loge qui devaient me faire subir un énième interrogatoire.
Des questions sans réponses...
À ce stade de mes démarches je m’attendais à recevoir à n’importe quel moment la visite ou l’appel des maçons désignés pour me faire passer les derniers entretiens. J’ai attendu durant des semaines mais rien. Je sentais qu’une fois de plus ma demande avait été infructueuse. Mes raisons n’ont-elles pas étaient suffisantes ? Peut être pensaient-ils que mon désir d’intégrer la franc-maçonnerie n’était pas plus qu’une simple curiosité de savoir ce qu’il se cachait derrière des portes closes ? Beaucoup de questions qui pour le moment resteront sans réponses.
Après cette expérience peu fructueuse je continue à me questionner sur la possible ouverture et transparence de la franc-maçonnerie. Mais aussi sur mes réelles raisons de vouloir intégrer cette société plus si secrète. Je ne sais pas si je tenterai une nouvelle fois d’y entrer. Ce que je pourrais dire toutefois c’est qu’après toutes ces recherches et demandes, je me suis rendu compte d’une chose. Je semble être entourée de franc-maçons.
* Prénom d’emprunt