Dans son livre, "Le ventre des femmes", publié aux éditions Albin Michel, Françoise Vergès décrit le drame vécu par des milliers de Réunionnaises. 8 000 femmes avortées, stérilisées de force à Saint-Benoît, écrit-elle dans la clinique du docteur Moreau. Le scandale a retenti dans les années 60 70, les années Debré.
Invitée du 19h d’Antenne Réunion, Françoise Vergès revient sur son livre dans lequel elle relate des faits graves, en employant un terme fort : des femmes victimes de racisme.
"C’est la réalité quand l’on comprend à la fois la situation internationale qui décide, à la fin de la guerre, que les femmes dites du Tiers Monde font trop d’enfants. Et que c’étaient elles qui étaient responsables de la pauvreté et du sous-développement.
On décide à ce moment-là qui doit naître ou ne pas naître. En France on encourage les naissances, on criminalise l’avortement et la contraception, mais on encourage aussi avec les allocations familiales. Dans les départements d’Outre-mer, on décide d’interdire, de faire que les femmes fassent moins d’enfants."
Le racisme pouvait ne pas semblait être le moteur, mais une conséquence de la politique menée à l’époque pour limiter la natalité. Pour Françoise Vergès, cela va au-delà.
"Le racisme est toujours intégré, structurel. Ce n’est pas une cause ou une conséquence. La décision de dire quelle femme peut avoir des enfants ou pas, s’aligne sur une approche raciste du monde".
Les femmes, notamment à La Réunion, qui étaient visées par cette interdiction d’avoir des enfants étaient "les femmes pauvres, de groupe noire ou autre, et qui sont 6 000 à 8 000 à être avortées par an. Sans consentement, de même que pour leur stérilisation".
Pour ces faits, elle s’appuie sur principalement un recueil de témoignages d’époque. "Des témoignages de femmes qui sont publiés dans les deux journaux Témoignages et Croix Sud. Ainsi que les faits relatés au tribunal, lors du procès de février 1971. Mais aussi les témoignages des médecins qui expliquent qu’ils se sentent autorisés à le faire et se sentent soutenus par la préfecture et par l’État.
"Il y avait une fraude sociale, car on ne déclarait pas l’avortement, qui était interdit, un crime à l’époque. Les médecins, comme les cliniques, se sont fait des fortunes sur le ventre des femmes réunionnaises".
Alors que ces faits ont été jugés à l’époque, Françoise Vergès explique pourquoi elle a souhaité revenir dessus.
"Les faits ont été jugés, mais les peines ont été extrêmement mineures, sauf pour un docteur d’origine marocaine et un infirmier d’origine indienne à La Réunion. La fraude n’a jamais été punie. J’ai souhaité y revenir car c’est une histoire centrale, symptomatique de ce qu’il s’est passé à La Réunion. Cela n’est pas arrivé dans le passé lointain."
Retrouvez l’intégralité de l’interview de François Vergès, politologue, dans la vidéo ci-jointe.