Fin 2018, Didier Robert annonçait le gel pour trois ans de la fiscalité régionale sur les carburants, prise pour cible par les Gilets jaunes. Mais ce moratoire, qui représente un manque-à-gagner de 60 millions d’euros en 2021, expire bientôt.
C’est le dossier, que tout le monde fait semblant de ne pas voir. Celui qu’on a soigneusement rangé sous le tapis. Début juillet, la personne qui s’installera à la tête de la Pyramide inversée devra prendre une décision, potentiellement lourde de conséquences pour le portefeuille des automobilistes et le bilan carbone du territoire. Le moratoire sur la fiscalité des carburants arrive à échéance cette année. Le reconduire, c’est priver les collectivités réunionnaises de précieuses recettes fiscales. L’enterrer, c’est s’exposer à des sommets d’impopularité.
Didier Robert l’a appris à ses dépens en novembre 2018 pendant les Gilets jaunes, un mouvement né en métropole, pour protester contre la forte hausse de la taxe nationale sur les carburants. Si elle n’était théoriquement pas concernée, la Région Réunion a également été prise pour cible, pour avoir augmenté sa propre fiscalité, quelques mois plus tôt.
Votée en décembre 2017, cette hausse sans précédent prévoyait de renchérir la Taxe spéciale sur la consommation du carburant (TSCC) chaque 1er janvier, pendant 8 ans. A raison de 2 à 6 centimes d’augmentation annuelle, la mesure aurait renchéri le sans plomb de 20 centimes d’euros et le gazole de 42 centimes par litre, à l’issue des 8 ans, en 2025. L’idée était alors d’aligner la fiscalité régionale sur la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Énergétiques (TICPE) métropolitaine. La pression populaire a néanmoins contraint Didier Robert à faire marche arrière. En réponse à la colère des Gilets jaunes, la Pyramide inversée a annoncé un gel pour trois ans de la TSCC, également ramenée à son niveau de 2017.
En théorie, rien n’obligeait la Région à s’aligner sur la fiscalité hexagonale. Elle s’est d’ailleurs longtemps abstenue de le faire, pour compenser des coûts d’import, de stockage et de distribution plus élevés, qui renchérissent les carburants de 15% en moyenne par rapport au continent. La question est sensible, notamment pour les transporteurs, qui ont organisé plusieurs manifestations sur le sujet. Résultat, la TSCC n’a quasiment pas bougé depuis le début des années 2000. Elle représente actuellement 58,24 centimes par litre de sans plomb (41% du prix à la pompe) et 36,13 centimes pour le gazole (35% du prix), soit respectivement 10 et 23 centimes de moins que la TICPE métropolitaine. Il s’agit d’un puissant amortisseur contre la vie chère, qui permet à La Réunion d’afficher des prix à la pompe, parmi les moins chers de France depuis quelques années.
La tentation était grande, dès lors, de combler cet écart afin de donner un peu d’air aux finances des collectivités. Car la Région n’aurait pas été seule à bénéficier de cette manne, qui profite aussi aux communes (22 %), au Département (17 %) et aux intercos (3 %). Les 58% qu’elle conserve représenteront 130 millions d’euros en 2021, soit 15% de ses recettes annuelles.
Autant dire que le maintien ou non du moratoire est loin d’être neutre pour ses finances. La revalorisation de la TSCC devait lui permettre de gagner 15 M€ de recettes supplémentaires chaque année, soit un bonus de 120 M€ à partir de 2025. Rien que cette année, le manque à gagner frôle les 60 M€. C’est deux fois le budget des Cars jaunes !
Cette manne potentielle risque d’être scrutée de près par la future majorité, à l’heure où le chantier de la NRL s’enlise et où la collectivité s’endette pour boucler son budget. Reste à bien mesurer le coût politique d’une telle hausse. S’il n’y avait pas eu de moratoire, le gazole serait aujourd’hui plus cher de 22 centimes et l’essence de 10 centimes. On les paierait respectivement 1,27€ et 1,51€ par litre.
- Guillaume KEMPF
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