Le 9 juillet 2020, le tribunal administratif condamnait la commune de Saint-Paul à payer à Seanergy 350 000 € avec les intérêts moratoires. L’entreprise en charge des filets anti-requins à Boucan Canot et aux Roches-Noires avait continué la maintenance des filets, sans être payée.
Pour décrire sa situation, le gérant de la SAS Seanergy Ocean Indien tend les bras en croisant les mains. "J’avais les mains liées. C’était un marché public. Même, si nous n’étions pas payés, nous étions obligés de réaliser les travaux de maintenance", précise Dominique Thirel. Aujourd’hui, l’avenir de son entreprise placée en procédure de sauvegarde ne dépend plus de lui. Il est lié à une décision de justice que la mairie de Saint-Paul ne respecte pas.
"Les dettes sont gelées. Mais, j’ai moins de dettes que la somme que me doit la mairie. Avec un tel manque dans la trésorerie, c’est un miracle pour une PME comme la mienne d’avoir tenu mais à quel prix ?", précise l’ancien scaphandrier. Des coupes drastiques ont été réalisées et sur 12 employés à La Réunion, il n’en reste que 4.
Conflit entre Saint-Paul et Seanergy : que dit le jugement ?
Le 15 mai 2015, un contrat est signé entre la mairie de Saint-Paul et la SAS Seanergy Océan Indien pour la mise en œuvre de système de protection anti-requins sur les plages de Roches-Noires et Boucan Canot. Le maire en place à cette époque est Joseph Sinimalé. Le succès est immédiat. Les plages connaissent une grande affluence. "J’ai déposé des brevets pour ces travaux. C’était une première mondiale. On a déployé des moyens énormes", souligne Dominique Thirel. Un avenant est signé le 22 octobre de la même année pour agrandir la surface des filets de 20,64 %.
Les tensions voient le jour au fil du temps entre la mairie et l’entreprise. Des désaccords sur l’exécution du contrat et la maintenance apparaissent. La mairie refuse de payer des prestations. La société procède à une mise en demeure. S’ensuit une médiation de 8 mois à l’initiative de la maire qui sera abandonnée.
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Le 11 octobre 2017, la commune décide, après avoir dépensé pour un coût total 3,8 millions d’euros de ne pas renouveler le contrat pour une troisième année. “Durant tout ce temps, nous n’avons eu aucune notification de défaut de services. Des prestations ont été réalisées mais elles n’ont jamais été payées”, se désole le patron de l’entreprise spécialisée dans les travaux marins et sous-marins.
Le tribunal administratif est saisi par Seanergy qui réclame 714 989, 07 €, assortis des intérêts moratoires à la commune. Par un jugement du 9 juillet 2020, le tribunal condamne la commune à payer 353 284,10 € avec les intérêts moratoires à partir du 11 novembre 2017. Ce 27 mai 2021, la somme dépasse les 450 000 €. "Quelle est la finalité de ce blocage, je ne comprends pas. Une collectivité devrait soutenir l’économie locale. Au lieu de ça, en ne payant pas, elle aggrave notre situation et augmente sa dette, précise le gérant. C’est toute la chaine derrière qui est pénalisée comme mes fournisseurs. Si la mairie gagne en appel, je rembourserai".
Contrairement au droit pénal, l’appel du 12 octobre 2020 de la mairie ne suspend pas la décision du tribunal administratif. L’appel pourrait être suspendu, à la demande de l’appelant, seulement après une décision de la Cour d’appel de Bordeaux. À ce jour, elle n’a toujours pas tranché. "Il y a un gout d’injustice. Nous avons lancé une procédure au tribunal administratif qui a rendu un jugement. On ne l’a pas volé. Seulement la mairie s’assoit dessus, résume Me Éric Dugoujon, l’avocat de Seanergy. Il y a une inertie de la part de l’administration car le temps n’a pas d’emprise sur elle. Contrairement à une PME. On peut s’attendre à une administration publique qu’elle respecte la loi. Mais non, elle préfère faire couler une entreprise". Membre du barreau de Saint-Denis depuis 2008, le conseil dit avoir "très rarement" été confronté à pareille situation. Contactée par la rédaction d’Antenne Réunion, la mairie de Saint-Paul n’a pas donné de suites à nos sollicitations.
Dominique Thirel et son entreprise sont dans une impasse. La mairie semble exploiter "une faiblesse du système", selon la robe noire qui rappelle qu’"un huissier ne peut être envoyé". La préfecture est avisée de la situation mais ne peut intervenir qu’en cas de jugement définitif. Avec l’élection d’Huguette Bello à la mairie de Saint-Paul qui, au passage, avait critiqué la gestion de son prédécesseur - Joseph Sinimalé - après la décision du tribunal administratif. Dominique Thirel avait bon espoir. Seulement, sa situation n’évolue pas d’un iota.