Un homme était jugé en appel ce jeudi 12 décembre, pour violences habituelles sur conjoint et plus particulièrement quand sa compagne était enceinte. En première instance, le tribunal n’a pas pris en compte les 60 jours d’ITT prescrit à la victime. Une femme présentée comme manipulatrice et posant trop de questions alors même que ses accusations sont jugées crédibles.
“Ma cliente avait l’impression d’être la prévenue dans cette affaire”, regrette Me Caroline Bobtcheff, l’avocate de Jeanne*. Son ancien compagnon est jugé en appel pour violences habituelles suivies d’incapacité supérieure à 8 jours. En avril dernier, le tribunal de Saint-Pierre avait requalifié les faits en violence suivie d’incapacité inférieure à 8 jours, écartant une ITT de 60 ans jours prescrite par un médecin légiste. Son ex-compagnon a été condamné à 9 mois de prison avec sursis.
Le couple de cadres s’est rencontré au travail en 2017. Ils ont vécu ensemble pendant environ 3 ans. Jeanne explique que les violences ont commencé quand elle est tombée enceinte. Après deux fausses couches, elle a donné naissance à un petit garçon. Le médecin et la sage-femme qui l’on suivit pour sa grossesse ont signalé dans son dossier une “suspicion de violences conjugales”.
Elle dénonce des violences régulières
Jeanne l’accuse de coups, claques, bousculades régulières. En face, son ancien compagnon, un homme imposant physiquement, reconnaît l’avoir “poussée”, une fois. Elle l’accuse de lui avoir lancé un meuble de dessus, il répond qu’elle s’est cognée elle-même lors d’une dispute. Le médecin a constaté un bleu de 10 cm sur sa jambe.
Elle dit qu’il lui a jeté des clés en plein visage, au restaurant, devant des collègues, il répond qu’il a “jeté les clés sur la table”. Deux de leurs collègues confirment la version de Jeanne. Ils témoignent également avoir dû aller chercher Jeanne, au moins de fois, dans une zone industrielle, après que son compagnon l’ait fait sortir de la voiture et soit parti. L’un d’eux a aussi constaté un bleu sur l’œil de Jeanne, causé par un coup de poing selon elle.
L’homme se place en victime
Le couple est jugé par ses collègues comme “assez manipulateurs” et ayant chacun un “fort caractère”. La famille de l’homme explique que Jeanne lui interdisait de jouer au golf, une de ses passions, et refusait qu’il fasse des activités sans elle. Le psychologue qui l’a examiné décrit Jeanne comme ayant “un discours extrêmement maîtrisé, cohérent et crédible”, mais aussi “une personnalité rigide et obsessionnelle”. L’expert indique que son ex-compagnon “se présente en victime de madame avec un récit peu crédible. Il utilise les traits de personnalité de madame pour expliquer et minimiser les violences.”
Il a porté plainte contre Jeanne pour un coup. Elle a été classée sans suite. “Je n’ai jamais subi autant de pression psychologique”, explique l’homme pendant son procès. Avant le début des violences, Jeanne lui a donné plus de 70 000 euros pour l’apport d’une maison où ils vivaient ensemble, mais qui est uniquement à son nom. Après leur séparation, elle a continué à y vivre pendant quelques mois. Il n’a pas remboursé cette somme et une retenue sur salaire a dû être mise en place pour qu’il paye la pension alimentaire de son fils.
"Vous n’avez pas été victime de violences conjugales"
L’avocate de la défense plaide la relaxe. “Un petit râle poussé, est-ce qu’on doit considérer ça comme des violences habituelles ?”, demande-t-elle. Après l’une des scènes de violences décrites par Jeanne, enceinte, elle subit des saignements. “Un décollement placentaire minime, c’est rare, mais ça arrive. Elle utilise un évènement parfaitement spontané pour dénoncer des violences à son encontre”, ose la robe noire. Quant à son bleu à l’œil : “il n’y a pas de certificat médical, uniquement un témoignage”. Elle accuse Jeanne d’avoir “manipulé” ses “collègues masculins” pour témoigner en sa faveur. “Elle dénonce des violences le 12 août, mais il a passé la journée avec sa nouvelle compagne, car c’était son anniversaire. Elle ment”, plaide l’avocate. “Vous n’avez pas été victime de violences conjugales”, lance-t-elle à la Jeanne.
Pour le conseil de Jeanne, les violences subies par sa cliente ont été minimisées par les gendarmes et les juges, du fait de son profil. “C’est un couple d’une sphère sociale élevée, ce sont des cadres. Mais on peut être victime, quelle que soit sa classe sociale”, indique Me Caroline Bobtcheff. “On a l’impression qu’il doit y avoir un seul profil de victime : un peu bête, qui ne pose pas trop de questions. Elle est bien insérée alors on se demande pourquoi elle n’est pas partie. Mais il a menacé de la faire passer pour folle, de lui retirer son enfant et de ne pas lui rendre son argent si elle partait.” Le jugement sera rendu le 17 avril prochain.
P. K.