L’homme le plus recherché de notre île a été jugé ce lundi 3 février, par la cour d’assises de Saint-Denis, pour viol et tentatives de meurtre sur sa femme et ses deux enfants. Jugé en son absence, il est toujours introuvable.
Un procès d’assises dure habituellement plusieurs jours, celui-ci n’a duré que quelques heures. L’accusé n’avait pas d’avocat, pas de juré dans la salle et pas de témoin à la barre. Cette procédure, autrefois qualifiée de procès par contumace, porte le nom de défaut criminel. Delphine, l’ex-femme de Cédric Philéas est la seule à s’exprimer à la barre. Sa voix ne tremble pas. “Je pensais que c’était l’homme de ma vie et un bon père. Je me suis trompée”, déclare-t-elle.
Cet homme c’est Cédric Philéas, un Saint-Louisien, né en 1986. Ils se sont rencontrés lorsqu’elle avait 16 ans et qu’il était déjà majeur. L’histoire de leurs 17 ans de vie commune est un cas tristement banal de violence conjugales et d’emprise. L’homme est un consommateur de zamal et sa famille le décrit comme “colérique”. Un euphémisme. En 2015, elle dépose une première plainte. Cédric Philéas lui a cassé la mâchoire. Il n’est pas présent lors de son procès durant lequel il est condamné à de la prison avec sursis. Il lui a également cassé le nez en 2021 mais elle n’a pas porté plainte.
Un homme violent depuis le début de la relation
En 2018, après une séparation, ils se marient, à la surprise de leurs proches. La même année, elle accouche de leur deuxième enfant, Tomy*. “Elle m’a fait un enfant dans le dos”, dit-il à son meilleur ami. Le père de famille rejette le marmaille. “Jusqu’à ce que l’enfant devienne une monnaie d’échange”, note l’avocate générale. C’est d’ailleurs grâce aux droits de garde accordés au père, que Delphine doit continuer à le voir, après leur séparation définitive.
Elle a déménagé et rencontré quelqu’un d’autre. Furieux, Cédric Philéas la harcèle et s’introduit dans son nouvel appartement. Delphine porte plainte pour violation de domicile. Le 27 novembre 2021, elle passe récupérer ses enfants chez leur père dans le quartier de Gol-les-Hauts, à Saint-Louis. Depuis la séparation, elle refuse de rentrer chez lui et même de garer sa voiture dans la cour. Mais ce jour-là, il lui dit que Tomy s’est blessé à la tête, qu’il est dans sa chambre, qu’il faut qu’elle entre pour l’aider. En panique, elle s’exécute et se retrouve prise au piège. Il ferme la porte derrière elle. Toutes les fenêtres sont fermées. Il avait prévu ce guet-apens. “Tu ne sortiras pas vivante”, la prévient-il. Il la viole, l’étrangle et la viole encore. Pour survivre, Delphine lui dit qu’elle a encore des sentiments pour lui, qu’elle s’excuse. Il se met à pleurer.
Léo sauve son petit frère
La jeune femme lui propose de fumer une cigarette. “J’en ai dans ma voiture”, lui dit-elle. Il la laisse aller les chercher. Pieds nus, à moitié habillée, elle part en trombe vers la gendarmerie. Il la suit. Une fois sur place, elle explique qu’elle a peur pour ses enfants avant de s’évanouir. Les gendarmes voient une voiture blanche faire demi-tour sur le parking. C’est celle de Cédric Philéas qui se dirige vers la maison de sa mère, où l’attendent ses deux enfants Tomy, 2 ans et Léo*, 9 ans.
Il les récupère, leur dit qu’ils vont cueillir des letchis. Le père de famille les amène dans un champ, à l’écart de la route. Là, il poignarde les deux enfants à plusieurs reprises et tente de les étrangler. Léo supplie son père d’épargner son petit frère. Cédric Philéas ne l’écoute pas et commence à serrer le cou de Léo. “Pourquoi tu fais ça ? Je t’aime”, le questionne le petit garçon. L’homme se ravise, verrouille la voiture et s’éloigne. C’est Léo, éventré et se tenant le ventre, qui doit parcourir les 200 mètres qui le séparent de la route pour appeler à l’aide. Là, il tombe sur un policier du Port, qui se rend à son travail. Il lui indique que son petit frère se trouve en contrebas. Accompagné d’autres témoins, l’agent de police force la voiture pour en sortir le petit marmaille. Le policier aperçoit Cédric Philéas quelques secondes avant qu’il ne s’enfuie en direction d’une ravine à proximité.
“Dans cette histoire, il y a un héros principal, c’est Léo. Si son frère est encore en vie, c’est grâce à lui”, affirme Me Frédéric Hoarau, avocat de Delphine et de ses enfants. “Ce petit garçon de 9 ans a eu la force mentale de sortir de la voiture, de remonter le chemin de terre, d’arrêter une voiture en se tenant le ventre. Il va encore trouver la force de dire où est son frère”. Le pronostic vital des deux frères est engagé dans un premier temps mais ils survivent tous les deux.
Est-il toujours en vie ?
Si le marmaille s’est comporté de façon héroïque, ce n’est pas le cas de la famille de Cédric Philéas. L’avocate générale décrit la “complaisance coupable de la famille” qui “savait mais s’est toujours tue et n’a jamais agi”. Ils le décrivent pendant l’enquête comme un “papa poule” alors qu’il rejetait le plus jeune de ses enfants. Lorsque Delphine a déménagé, c’est la mère de Cédric Philéas qui trouve son adresse et la transmet à son fils. Le jour du drame, elle le voit arriver “énervé” et confie qu’elle “savait qu’il avait pu être violent avec son épouse”. Elle lui confie tout de même ses petits-enfants. Lors de l’enquête, les liens familiaux et amicaux de l’accusé ont été étudiés, pour tenter de retrouver Cédric Philéas, potentiellement en cavale. Cela n’a rien donné.
Delphine, elle, est persuadée que son ex-mari et bourreau est toujours vivant. “Cette personne n’est pas décédée”, déclare-t-elle à l’issue du procès. Après les faits, les gendarmes ont suivi des traces de sang dans la ravine. Il s’agissait de celui de Cédric Philéas. Là, un militaire a découvert les clés de voiture de l’accusé, déposées sous un rocher. Sur notre île, d’autres hommes en cavale ont pu vivre dans la nature pendant plusieurs années, en autonomie totale. Est-ce le cas de Cédric Philéas ? “Tout laisse à penser qu’il est décédé dans la ravine”, estime le juge d’instruction chargé de l’enquête.
En son absence, Cédric Philéas est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans. Le mandat d’arrêt le concernant est maintenu. Si l’accusé réapparaît un jour, il sera rejugé, sauf s’il refuse.
Philippine Kauffmann
*Prénoms d’emprunt