La femme a dû être amputée. Sa patronne était jugée ce mardi 29 octobre pour blessures involontaires.
L’ambiance est lourde ce mardi 29 octobre au tribunal de Champ-Fleuri. Dans la salle, Rachida*, qui a perdu son bras gauche, est visiblement bouleversée. À la barre, Julie*, son ancienne patronne, semble également émue. Elle est jugée pour blessures involontaires commises le 24 mars 2022 au Port. Ce jour-là, Rachida fabrique des pâtes à l’aide d’une imposante machine. Lorsque les ingrédients se bloquent dans l’appareil, elle soulève le couvercle et met sa main gauche à l’intérieur. Son bras est happé par la machine. Elle appuie sur le bouton d’arrêt d’urgence, mais, selon Rachida, il ne fonctionne pas. Ses collègues parviennent à éteindre la machine en la débranchant. À l’hôpital, une greffe est tentée, mais elle ne prend pas. Rachida sera finalement amputée de son avant-bras gauche.
Lorsque les forces de l’ordre arrivent sur les lieux de l’accident, l’engin est au sol avec des traces de sang. Une fois rebranché, il se remet à marcher de façon intempestive. L’inspection du travail note l’absence de consignes de sécurité écrites à proximité de la machine et indique que l’appareil est dans “un état non-conforme, car l’ouverture du capot ne permet pas l’arrêt automatique”, elle pointe également une instabilité de la machine.
Une machine non-conforme
“Je suis encore bouleversée par ce qu’il s’est passé”, assure la gérante. Sage-femme de formation, Julie a repris ce restaurant de pâte de Saint-Paul en 2020. Lorsqu’elle ouvre une deuxième adresse, au Port, elle décide d’y apporter cette machine, achetée en 2010 par l’ancien propriétaire du restaurant et non utilisée depuis 2016. Il lui manque un couvercle, qu’elle remplace elle-même et emploie un électricien pour effectuer les branchements.
Elle explique avoir fait appel à la prévention des risques qui, après avoir visité les locaux, n’a signalé aucun problème de sécurité spécifique visant cette machine. Pendant l’audience, Julie avoue ne jamais avoir lu la notice de la machine. “Elle paraissait très simple à utiliser”, justifie-t-elle. “Il lui manquait juste un couvercle, j’ai découvert après l’accident l’existence de cette sécurité capot. Je l’ai utilisée moi-même pendant un mois et on n’a pas besoin d’ouvrir le couvercle”, estime-t-elle. Quant au bouton d’arrêt d’urgence, elle affirme qu’il “n’a pas été actionné" le jour de l’accident. "Quand on a fait le test l’après-midi même, il fonctionnait.”
“Je n’ai pas de responsabilité”
“Vous savez que [l’ancien propriétaire du restaurant] a fait une formation de deux jours à Nice sur cette machine ?”, la questionne l’avocate de Rachida. “Oui, mais la formation qu’il m’a donnée était beaucoup plus rapide”, répond Julie. Elle explique avoir indiqué le fonctionnement de l’appareil, à l’oral, à Rachida, lorsqu’elle a dû commencer à fabriquer les pâtes.
“Pour moi, je n’ai pas de responsabilité. Je comprends que ça soit difficile pour elle”, conclut Julie. Le casier judiciaire de cette mère de trois enfants est vierge. Depuis qu’elle a repris l’entreprise en 2020, elle n’a perçu aucun salaire ou indemnisation. Elle estime avoir été une patronne à l’écoute et n’avoir pas mis de pression sur ses employés.
“Elle faisait tout dans ce restaurant”
Une réalité différente est décrite par l’avocate de Rachida. La robe noire explique que l’employée prenait les commandes au téléphone toute la journée, cuisait les pâtes et, à une période, transportait les pâtes de Saint-Paul au Port dans son véhicule personnel, sans être indemnisée. “Elle courait dans tous les sens, elle faisait tout dans ce restaurant. La fabrication des pâtes est une tâche importante qui lui a été ajoutée. On lui en demandait toujours plus.”
“On ne peut pas se défausser de ses obligations lorsqu’on est employeur. Les dispositifs de protection ont manqué”, assure de son côté la procureure. Elle demande une amende de 20 000 euros à la charge de l’entreprise, dix mois de prison avec sursis et une amende de 5 000 euros à l’encontre de Julie ainsi qu’une interdiction de gérer une société pendant 3 ans.
“Cette machine, on ne s’y attend pas, elle ne fait pas peur”, assure l’avocat de Julie, Maître Eric Bourlion, venu directement de l’Hexagone. “Elle était conforme et le système de sécurité, de toute façon, n’aurait pas évité l’accident. Comment je peux savoir ce que va faire le salarié, peut-être dans un moment de stress ?”
Le jugement est mis en délibéré au 6 décembre.
*Prénoms d’emprunt
P. K.