Durant 5 heures ce vendredi, le prévenu, jugé notamment pour banqueroute, abus de faiblesse et biens sociaux s’est présenté comme un homme manipulé. Commercial chez un importateur de voitures de luxe, une société liquidée en décembre 2012, est-il le gérant, alors qu’il avait l’interdiction de gérer ? Le tribunal correctionnel de Saint-Denis rendra sa décision le 5 novembre prochain.
"La meilleure défense, c’est l’attaque." Cette phrase issue de notre sagesse populaire, et parfois attribuée à Napoléon Bonaparte illustre la longue audience de vendredi matin au tribunal correctionnel de Saint-Denis. "Tout ce que vous me dites dans ce dossier n’a pas de sens", avance à la barre le prévenu en s’adressant à la présidente du tribunal. Le quinquagénaire conteste un à une les infractions qui lui sont reprochées. À chaque fait énoncé par le tribunal, il demande la preuve, avance qu’il a fourni des documents le dédouanant à sa sortie de garde à vue aux enquêteurs. "Dans ce dossier, il faut un fautif. Malheureusement, les deux fautifs sont décédés", précise le prévenu.
En 2006, sous le coup d’une interdiction de gérer après un jugement du tribunal de commerce, il acquiert des parts dans la société qui importe des voitures luxueuses. Seulement, il ne parvient pas à trouver une banque pour le suivre. Avec deux autres personnes, ils trouvent un financement auprès d’une banque mauricienne de plus de 450 000 €. Une seconde société voit le jour à Maurice pour récupérer l’argent. Le troisième sera éjecté car "il coûtait trop d’argent". Au final, ils ne seront plus que deux. Le prévenu détiendra 85 % des parts et son associé 15 %. Un associé depuis décédé alors qu’il avait été mis en examen en 2012.
Le quinquagénaire se définit comme un commercial, devant voyager et démarcher des fournisseurs en Europe et se défend d’être l’instigateur du montage financier comme de la gestion de l’entreprise. Les témoignages recueillis lors de l’enquête le présentent plutôt comme le gérant. "Aujourd’hui, il vous dit qu’il a été manipulé. Pour prouver sa bonne foi, on avait demandé une confrontation devant le juge de l’instruction. Nous avions toute une liste de questions. Seulement, elle n’a jamais lieu", avance son avocat Me Jacques Hoarau.
Hummer, Audi TT, Cadillac, Maserati, Aston Martin, des véhicules sont importés à La Réunion. La société mauricienne avance l’argent pour acquérir le véhicule. L’acheteur paye à la société réunionnaise qui à son tour reverse l’argent à Maurice pour rembourser les 450 000€. Une combine financière qui, d’après le prévenu, n’est pas de son fait. "Je n’ai jamais géré, jamais rédigé aucun acte administratif et encore moins réalisé des virements", précise l’homme de 51 ans. L’instruction n’a pas trouvé un tel accord entre ses deux sociétés.
Jugé également pour banqueroute, abus de biens sociaux, abus de confiance, là encore, le prévenu se défend de toute faute. Une moto a été vendue à deux acheteurs. Une Cadillac achetée par une personne malade sera rendue à la société qui la revendra à une seconde reprise. Seulement, le premier acheteur ne touchera jamais d’argent. Le train de vie opulent du prévenu ressort de la procédure. De plus, 318 000 € venant du compte de la société sera versé sur son compte et 69 000 € sur celui de sa femme. Des sommes pour rembourser des frais avancés, selon l’intéressé. En décembre 2012, la société sera finalement liquidée. Le passif s’élevait à 1,4 millions d’euros et l’actif au 30 juin 2010 à 1,6 millions. La comptabilité était opaque voire inexistante.
Pour la procureure, Domitile Descampiaux, avançant que plus de 2 millions € ont été détournés, la culpabilité du prévenu ne fait guère de doute. "Ses réponses aujourd’hui me restent sur ma faim. Il se pose en victime, avance la parquetière. Tous les éléments dans la procédure caractérisent sa gestion de fait. Les employés indiquent clairement son rôle de gestion. C’est lui qui prenait les décisions majeures dans cette société et de façon autonome. Quant à l’actif, il n’a jamais été retrouvé. Il est évident que les véhicules ont été revendus par le prévenu. Il n’y a aucune trace. C’est un détournement pur et simple". Et d’ajouter : "Il fait preuve d’une parfaite mauvaise foi jusqu’au aujourd’hui à cette audience. Il y a une persistance jusqu’au bout dans le déni". La représentante du ministère public requiert une lourde peine : 3 ans de prison dont une année assortie du sursis probatoire, 100 000 € d’amende et l’interdiction de gérer une société à vie.
De son côté, la défense demande au tribunal d’avoir "une autre lecture". "Est ce que les témoignages dans la procédure et le fait que lui se trouvait dans le showroom font de lui un gérant de fait ?", avance Me Jacques Hoarau. Le conseil plaide la relaxe et demande de considérer les constitutions de deux parties civiles comme irrecevables (50 000 € et 100 000 € ont été demandés au titre du préjudice matériel et moral.). "L’autre s’occupait dans la bourse. Lui était dans les affaires, les voyages pour trouver des fournisseurs. Quand, il faisait quelque chose, il devait rendre compte à quelqu’un", ajoute la robe noire.
La dernière parole revient toujours au prévenu. À la barre, il prend une longue inspiration pour se lancer dans une dernière explication, avant de se raviser, visiblement ému. La décision a été mise en délibéré et sera rendue le 5 novembre prochain.