Le politologue Yvan Combeau souligne que "depuis deux décennies, l’abstentionnisme électoral ne cesse de progresser". Et selon lui, sur les prochaines élections départementales, "l’abstention est à juste titre la première donnée explicative du scrutin".
Explications.
Tribune d’Yvan Combeau
"L’abstention, première clé des élections départementales"
"Pour les cantonales de 2011, l’abstention nationale se situait déjà à un haut niveau (55%). Dans certains cantons, ce sont près de 60% des inscrits qui ne déposaient pas de bulletins. Exemple en mars 2011 dans l’ex-canton de Saint-Denis 2 avec 61,1% d’abstention.
Aux Européennes de 2015, ce sont seulement 20% des inscrits de La Réunion qui font vivre le suffrage universel. Plus globalement la progression constante de l’abstention pose la question de la représentativité des élus et de la démocratie représentative.
Tous les indicateurs sont rouges pour le rendez-vous électoral de ce mois de mars. Il semble difficile d’inverser un mouvement qui depuis plusieurs années conjuguent la défiance vis-à-vis du personnel politique et la dévalorisation de la promesse politique. À côté de l’observation de l’abstention, il sera intéressant aussi d’examiner les pourcentages des bulletins blancs. Depuis le 1er avril 2014, les bulletins blancs sont comptabilisés sans pour autant, ce qui est regrettable, entrer dans le registre des exprimés. Cette expression électorale marque sans ambiguïtés le rejet de l’offre politique.
Actuellement, le fait que près d’un électeur sur trois ne sache pas qu’une consultation se déroule les 22 et 29 mars ne peut qu’inquiéter et laisser penser que la participation sera des plus faibles. La campagne nationale d’informations (« Oui, je vote… Oui, je le dis ») n’a pas encore eu ses effets.
Certes, l’intensification de la mobilisation se déroule dans les deux dernières semaines d’une consultation, mais nous avons sur cette consultation une véritable inertie du corps électoral, qui n’entre pas dans la compétition.
Et le décalage est d’ailleurs flagrant entre un corps électoral en marge d’une élection et un personnel politique qui mesure bien les enjeux cruciaux (nationaux, départementaux) de ce scrutin.
Plusieurs paramètres participent aux désintérêts de l’électorat. Les nouveautés d’un mode de scrutin (binôme) et les redécoupages des cantons suscitent hésitations et flottements. Ils se traduisent par une perte de repères.
À l’évidence, la nouvelle carte cantonale (25 cantons à La Réunion sur l’ensemble des 2 054 cantons pour la France) change plus que des habitudes. Elle modifie les représentations des communes au sein du prochain Conseil départemental cassant des liens de proximité qui sont pourtant considérés comme essentiels dans la relation électeurs-élus.
En moins de quinze jours, l’entrée des machines politiques nationales, la confrontation dominée par le tripartisme (F.N – U.M.P./U.D.I-P.S) a pour objet de créer une dynamique mobilisatrice et d’inviter à la participation.
Et puisque les compétences des futurs conseilleurs départementaux ne sont pas définis, que les programmes ne sont donc pas discriminants, il reste le poids des personnalités politiques dans la composition des binômes pour entraîner l’électorat.
En vue du 22 mars, les dernières estimations situent l’abstention sur des sommets (55%, voire 58%). Les quinze jours à venir peuvent inverser une part de ces prévisions. Mais l’abstention restera une donnée majeure du premier tour. Au fil de la journée du 22 mars, les pointages réguliers vont permettre de suivre les tendances.
L’abstention aura des effets immédiats sur les votes des exprimés. Elle crée les conditions de l’élimination automatique des candidatures pour le second tour.
À l’échelle nationale, sur le cadre tripartite, une faible participation (soit une moyenne de 45%) rend quasi-impossible les triangulaires puisqu’il faut pour se maintenir au second tour 12,5% des inscrits. Un candidat arrivé en troisième position, même avec 25% des exprimés ne participera pas au second tour puisqu’il sera en deçà de la barre des 12,5% des inscrits.
Cette exigence (obtenir 12,5% des inscrits pour se maintenir au second tour) instituée pour faciliter l’élimination des candidats du Front National peut se retourner comme un boomerang autant contre le Parti socialiste que l’UMP lors de ce premier tour de scrutin.
À La Réunion, la faiblesse de la participation aura un effet immédiat dans de nombreux cantons. Dans le cas où le premier tour se déroule sous la forme d’un duel (canton 6) voire d’une compétition avec trois binômes (canton 1, 4, 13, 16, 23) le résultat ne sera assuré que si le binôme des candidats arrive en tête avec plus de 50% des exprimés et réunit un nombre de suffrages au moins égal au quart des inscrits.
Donc à titre d’exemple sur un canton avec une participation à hauteur de 48% le binôme doit réaliser 52% des exprimés pour être déclaré élu. Lors des cantonales de mars 2011, au premier tour nous avions 10 élus sur les 25 cantons renouvelables.
En 2015, peut-on envisager dans des proportions comparables les succès au premier tour dans les 25 cantons ? Une fois encore le taux de participation sera décisif parce qu’il établit des seuils. Ainsi, si nous atteignons dans un canton les cimes d’une abstention à 60%, il faudra pour être élu au premier tour 25% des inscrits soit dans cet exemple 62,5% des exprimés.
L’abstention est un phénomène d’une grande complexité réunissant des facteurs sociaux et géographiques. Le chiffre brut ne doit pas occulter les disparités selon les quartiers et les communes. Dans certains quartiers la barre de 60% peut être largement dépassée. De même selon les générations, l’abstention fluctue considérablement.
Il faut également prendre en compte les différentiels de participation entre les électorats. À « une abstention-sanction » répondent « une participation-opposition » et « une participation-adhésion ». L’abstention-sanction concerne principalement l’électorat socialiste déçu par les trois premières années du quinquennat de François Hollande.
La désaffection des électeurs socialistes de 2012 a déjà pesé sur tous les scrutins (législatives partielles, municipales, européennes). Par contraste, la sur-mobilisation des oppositions de l’U.M.P. ou plus encore des électeurs FN creuse l’écart en faveur de leurs candidats.
Enfin l’étude de l’abstentionnisme électoral amène à considérer la perte d’influence (et de représentation) de l’électorat constant c’est à dire les électrices ou les électeurs qui participent aux votes lors de chaque élection. L’électorat choisit de plus en plus d’entrer ou non dans la participation selon le scrutin et les enjeux.
Au soir du dimanche 22 mars 2015, dès 18 heures, le premier chiffre connu portera sur le taux de l’abstention. Il sera déterminant puisque l’abstention, paradoxalement, fait de plus en plus indirectement le résultat des élections".