Le Conseil d’État juge aujourd’hui que la décision prise par le Gouvernement le 25 juillet dernier, de revenir sur l’application du contrôle technique aux « deux-roues » qu’il avait initialement décidée en août 2021, est illégale.
En effet, les mesures proposées depuis par le Gouvernement pour déroger à l’obligation européenne du contrôle technique ne sont pas conformes aux exigences de la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014, parce qu’elles sont seulement à l’état de projets ou parce qu’elles ne permettent pas d’améliorer de façon suffisamment efficace et significative la sécurité des motards sur la route. Par la décision rendue ce jour, le décret initial du Gouvernement d’août 2021, qui a instauré le contrôle technique des « deux-roues », rentre de nouveau en vigueur.
Le droit européen impose, depuis l’adoption de la directive 2014/45/UE du 3 avril 2014, l’obligation pour les États membres de mettre en place, notamment, un contrôle technique périodique des véhicules à moteur de deux, trois ou quatre roues de cylindrée supérieure à 125 cm3 à partir du 1er janvier 20221. Les États membres de l’Union européenne peuvent déroger à cette obligation s’ils ont mis en place des mesures alternatives de sécurité routière efficaces, en tenant compte des statistiques pertinentes sur la sécurité routière.
Le 9 août 2021, le Gouvernement a prévu la mise en place d’un contrôle technique des véhicules motorisés à deux-roues, mais en fixant sa date d’entrée en vigueur à une date postérieure à la date limite du 1er janvier 2022 fixée par le droit européen : le 1er janvier 2023, pour les véhicules immatriculés avant 2016, et des dates échelonnées entre 2024 et 2026, pour les véhicules immatriculés à partir de 20162.
Après une suspension en urgence par le juge des référés3, le Conseil d’État a annulé le 27 juillet 2022 le calendrier ainsi défini par le Gouvernement4, dès lors qu’il repoussait la date d’entrée en vigueur fixée par la directive du 3 avril 2014. Dans ce jugement « au fond », le Conseil d’État a relevé que le Gouvernement avait choisi l’obligation de contrôle technique et non la mise en œuvre de mesures alternatives, ce qui l’obligeait à faire débuter ce contrôle technique dès le 1er janvier 2022, pour respecter le droit européen. Décidant finalement d’opter pour la voie consistant à mettre en place des mesures alternatives pour améliorer la sécurité routière, la Première ministre a abrogé le décret d’août 2021 par un nouveau décret du 25 juillet 20225.
Trois associations (Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture) ont demandé au Conseil d’État l’annulation de cette décision d’abrogation et le rétablissement de la mise en place du contrôle technique des deux-roues de cylindrée supérieure à 125 cm3.
La décision du Conseil d’État rendue aujourd’hui retient deux motifs d’illégalité pour annuler le décret du 25 juillet 2022.
La suppression du contrôle technique aurait dû être soumise à consultation du public, compte tenu de son incidence directe et significative sur l’environnement
Le Conseil d’État juge que la suppression de cette obligation de contrôle technique périodique des deux-roues motorisés aurait dû être précédée d’une participation du public, conformément aux dispositions de la loi prises en application de la Charte de l’environnement intégrée à la Constitution, car elle a une incidence directe et significative sur l’environnement. La circulation des deux-roues motorisés a des effets nocifs sur l’environnement, en termes de pollution atmosphérique et sonore, particulièrement dans les zones urbaines. Et l’obligation de contrôle technique prévue par la directive vise non seulement à améliorer la sécurité routière, mais aussi l’état de l’environnement en réduisant la pollution atmosphérique et sonore liée au mauvais état de certains deux-roues motorisés.
Le Conseil d’État censure en outre une illégalité de fond, les mesures alternatives n’étant pas suffisamment efficaces, au regard des exigences de la directive, pour améliorer la sécurité routière des motards
Le Conseil d’État relève que les mesures alternatives proposées par le Gouvernement, et qui ont justifié l’abrogation du contrôle technique obligatoire, ne peuvent être regardées comme des mesures de sécurité routière efficaces au sens du droit européen. En effet, certaines des mesures mises en avant poursuivent des objectifs légitimes, mais qui ne sont pas ceux prévus par les dispositions de la directive régissant la faculté de déroger au contrôle technique, par exemple la réduction des nuisances sonores ou des émissions de polluants. D’autres mesures ne peuvent être utilement prises en compte, car elles sont encore à l’état de projets ou constituent de simples réflexions. Enfin, les mesures concernant spécifiquement la sécurité routière sont en nombre restreint et ne peuvent être regardées comme suffisamment efficaces au regard des exigences de la directive, qui poursuit un objectif de réduction de la mortalité liée à l’utilisation des deux-roues motorisés. Or les statistiques de sécurité routière disponibles font état d’une mortalité routière particulièrement élevée en France pour les conducteurs de deux-roues motorisés, en valeur absolue comme par rapport aux autres États européens.
Pour ces raisons, le Conseil d’État annule aujourd’hui pour excès de pouvoir le décret du 25 juillet 2022 qui abrogeait le décret du 9 août 2021 mettant en place le contrôle technique. Cette annulation a pour effet de remettre en vigueur le décret qui prévoit le contrôle technique des véhicules à deux-roues motorisés.
La mise en œuvre effective du décret du 9 août 2021 pourra légalement être accompagnée de mesures d’application portant notamment sur un échelonnement dans le temps de la mise en œuvre du dispositif de contrôle technique, une différenciation selon l’ancienneté du véhicule, et précisant les conditions de mise en œuvre de ce contrôle, notamment s’agissant des normes techniques et de l’agrément des centres de contrôle technique.