Des fleurs, des petits mots, des témoignages…, depuis 5 ans, les voisins et la rue de "Charlie Hebdo", vivent avec les souvenirs douloureux de l’attentat.
Le 7 janvier 2015, l’attentat de Charlie Hebdo avait fait 12 morts. Cinq ans plus tard, les souvenirs restent encore vifs tant pour les victimes et leurs proches, que pour les voisins surtout avec les nouvelles commémorations. Sur France Info, des riverains habitant aux alentours du lieu du drame ont confié que chaque année, la même scène se répète dans la rue Nicolas-Appert.
Aucun n’avait oublié où il était, ni ce qu’il faisait cette matinée où les frères Kouachi ont assassiné 12 personnes. Cet attentat s’était produit sous les fenêtres de Bruno, habitant au numéro 2 de la rue alors que le siège du quotidien satirique, était au numéro 10. "J’ai entendu des bruits secs et j’ai cru qu’il s’agissait de pétards. Je suis descendu, le gardien m’a dit : ’Ne sortez pas, il y a une fusillade dehors’. Je tremblais", a-t-il relaté. Impossible alors d’imaginer l’horreur qui se déroulait à quelques mètres de là.
Pendant des jours et des semaines, une foule de journalistes et une mer de fleurs s’en suivent, et la petite rue si calme, a reçu beaucoup de responsables politiques de premier plan et de médias. Après ce drame, le sommeil de Bruno a été perturbé. "Je n’ai pas dormi pendant deux jours, puis pendant deux mois j’étais stressé dès que j’entendais des sirènes", a-t-il raconté.
Pareillement, pour Marie-France, une administratrice de la Comédie Bastille, avoisinant le siège de Charlie Hebdo. "Je me suis immédiatement dit que c’était des coups de feu. Dès que le téléphone s’est mis à sonner en permanence, j’ai compris qu’il s’était passé quelque chose de grave", s’est-elle souvenue. D’après ses dires, cette scène était indescriptible, les gens étaient comme absents. "Les secours, les policiers, la maire de Paris pleuraient", a-t-elle relaté.
Quelques semaines plus tard, la vie quotidienne des voisins, reprenait petit à petit, son cours, mais il y a eu le Bataclan plus tard dans l’année. "On a entendu un grand silence et le bruit des sirènes. On s’est dit : ’Mais ce n’est pas vrai, cela recommence", a formulé Bruno.
Ce nouvel attentat a réveillé les blessures. Marie-Claire a noté que c’était très dur, très traumatisant. En formulant ce qu’elle a vécu, elle a pris le temps de respirer entre chaque mot.
"C’est la première fois que j’arrive à en parler sans bégayer. Jusque-là, je ne pouvais pas... C’est très compliqué à verbaliser. On se refuse le droit d’en parler, on n’a pas envie de se plaindre. On se dit qu’on n’a rien vécu comparé aux victimes", a-t-elle poursuivi.
Face à ces blessures et à ce traumatisme, chacun a sa façon de les gérer, a expliqué Françoise Rudetzki, fondatrice de l’association SOS Attentats. "Certaines personnes ont choisi de partir vivre en province pour reconstruire leur vie ailleurs, autrement". Comme le cas du régisseur du théâtre qui a quitté la capitale pour pouvoir avancer. "Le Bataclan, pour lui, cela a été la goutte de trop", a évoqué Marie-Claire qui a choisi de rester comme Bruno.
Toutefois, les souvenirs sont toujours présents et pour les voisins, il est difficile d’oublier notamment avec l’afflux de touristes, se pressant chaque jour sur les lieux. Agacée à cause de ce permanent défilé, Marie-France a formulé que c’est devenu un lieu de pèlerinage. "Les gens veulent savoir si on était là, où sont les locaux... Ça m’énerve un petit peu", a-t-elle indiqué. Pour eux, témoigner ou raconter ce qui s’est passé, devient une épreuve.
Pareillement pour Nicolas Froissart, porte-parole du groupe SOS, une entreprise spécialisée dans l’économie sociale et solidaire. En 2016, ce groupe a choisi de s’installer dans les anciens locaux de Charlie Hebdo. Comme cette entreprise travaille la porte grande ouverte, des gens sont entrés, sans demander la permission, pour visiter les lieux, selon lui. "Au quotidien, plein de choses vous rappellent où vous êtes : les fleurs, les petits mots, mais aussi les curieux qui prennent des photos, parfois des selfies devant la plaque", a-t-il livré.
Pourtant, lorsque la société a décidé de reprendre les locaux, c’était quelque part, une mission d’intérêt général. "Il ne s’agissait pas de faire un mausolée ou un lieu de souvenirs. Pour nous, il y avait une fierté à redonner vie à ces locaux", a précisé Nicolas Froissard à FranceInfo.
Néanmoins, le lieu est chargé en émotion, surtout quand des proches des victimes demandent à le visiter. "Ils nous ont contactés en nous demandant si ça nous dérangeait pas. Ils voulaient voir ce qu’était devenu l’endroit où avaient été tués leurs proches", a-t-il détaillé.
Après ces terribles attentats, les voisins ont eu toujours besoin de se retrouver. Alors, certains habitants du quartier ont fondé "Les Voisins de Charlie". Cette association a peint les poteaux de l’allée Verte de toutes les couleurs, une perpendiculaire de la rue Nicolas-Appert. D’une façon régulière, celle-ci organise des brunchs. "Les gens se sont rencontrés assez facilement, avec un vrai esprit de solidarité et de fraternité", témoigne Nicolas Froissard.
Sarah Gensburger, sociologue de la mémoire et habitante du 11e arrondissement, avait expliqué ce besoin de s’approprier les lieux pour partager une émotion. "Les attentats ont créé de nouveaux rapports entre les gens du quartier. (...) La ville est devenue un moyen d’expression pour les habitants", a-t-elle indiqué, en 2016.
Malgré toutes ces nouvelles solidarités, les souvenirs et les blessures restent vifs. Et les commémorations ainsi que les procès à venir, seront un moment fort qui va réveiller certaines douleurs, a noté Françoise Rudetzki.