Interrogé par 5 lecteurs du Parisien, Gérald Darmanin s’est dit favorable aux baisses d’impôts et à la réforme fiscale du gouvernement.
Cinq lecteurs du journal Le Parisien ont posé des questions au ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin concernant la réforme fiscale du gouvernement. Pendant une heure et demie, ils ont survolé plusieurs sujets tels le prélèvement à la source, la réforme de la fiscalité ainsi que le grand débat national.
Samia Ikhentane : Etes-vous toujours aussi serein sur la mise en œuvre du prélèvement à la source ?
Oui, tout se passe comme prévu, en presque quinze jours, nous avons déjà prélevé quasiment tous les retraités sauf ceux de l’Etat, les salariés des 70 000 entreprises et les chômeurs imposables. Ce mardi 15 janvier, ce seront au tour des indépendants, commerçants, artisans et professions libérales qui vont être affectés par le prélèvement à la source.
Samia Ikhentane : L’employeur sera-t-il au courant de la situation fiscale des salariés ?
Non, le montant de l’impôt payé par les salariés ne sont pas connus des employeurs. Ce taux fait partie de l’intimité de chaque citoyen. C’est pour cette raison qu’il est impossible de savoir si vous avez des revenus fonciers ou une pension alimentaire à payer ou si votre conjoint(e) gagne plus que vous. Par ailleurs, le taux imposé à presque 90% des Français est compris entre 0% et 10%, ce qui peut engendrer des situations très différentes. Bref, si vous n’avez pas envie que votre employeur connaisse le taux d’imposition du couple, il est possible de choisir le taux neutre comme ils ont fait avec le 1% des 38 millions des contribuables français.
Samia Ikhentane : Ayant connaissance de ce taux de prélèvement, l’employeur ne va-t-il pas désavantager certains salariés au moment de négocier une augmentation ?
Non, il n’aura pas le droit de le faire.
Alain Delage : Est-il vrai que vous voulez supprimer l’accueil du public dans les centres des impôts ?
Ce n’est pas vrai, le projet de dématérialisation totale de l’administration fiscale n’est pas envisageable car après l’Education nationale, il compte le plus de sites ouverts au public avec 1500 sites. Mais nous devons proposer différents choix de se renseigner que ce soit sur Internet, par téléphone, par mail ou de se déplacer dans un centre des finances publiques. Le fait de moderniser ne signifie en aucun cas remplacer l’homme par la machine car actuellement, plus de 100 000 personnes par jour sont accueillies physiquement au Fisc.
Françoise Gourdon : Comment les retraités peuvent-ils savoir quel est le montant de leur PAS ou Prêt accession sociale faute de bulletin de salaires ? Et comment faire lorsqu’on n’a pas Internet ?
Un document inscrivant le montant de PAS a été envoyé entre fin décembre et début janvier par 41 caisses de retraite. Concernant la Caisse nationale d’assurance vieillesse ou la Cnav, le montant de la retraite nette imposable a déjà été en même temps mis en ligne mais aussi envoyé par papier à tous les pensionnés. De plus, le site des impôts explique comment est calculé le taux d’imposition si une vérification s’avère nécessaire.
Alain Delage : C’est formidable d’être ministre car vous pouvez contacter la Cnav et elle vous répond. Moi, j’ai 59 ans et j’attends depuis août des réponses de sa part. En vain. Une fois, j’ai attendu jusqu’à 45 minutes en ligne alors que leur numéro d’appel est surtaxé 6 centimes la minute. Trouvez-vous cela normal ?
Non. Dans ce cas précis, il est nécessaire d’aller voir votre maire ou votre député et s’il fait correctement son travail, il est là pour résoudre ce type de problème d’administrés qui n’arrivent pas à avoir de lien avec l’administration.
Mathias Bourdin : Avec la baisse du salaire net à la fin du mois, ne craignez-vous pas de donner du grain à moudre aux Gilets jaunes ?
Les Français ne sont pas idiots, le prélèvement est fait le 17 de chaque mois et 70 % des contribuables mensualisés le savent. Alors, à la fin du mois, ils vont toucher leur salaire net sans se soucier du paiement de leur impôt. Entre le 2 et le 14 janvier, 70 000 contribuables ont ramené leur taux d’imposition à zéro et ne paieront donc pas d’impôt en ce début d’année. Une avance de trésorerie de 627 euros va être donnée à 8 millions de Français ce mardi, ce qui entrainerait un choc psychologique positif.
LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ. « Le plus juste, c’est finalement la CSG ou Contribution sociale généralisée »
Alexandra Abdelli : Pourquoi écartez-vous tout retour de l’ISF ou Impôt de solidarité sur la fortune ?
La liberté de la fiscalité du capital pour la mettre au niveau de la moyenne des pays européens fait partie des promesses de campagne d’Emmanuel Macron. Actuellement, après la question du pouvoir d’achat, il y a celle de la baisse du chômage qui nécessite de faire fonctionner les entreprises. Pour faire fonctionner les entreprises ? Il y a les salariés qui y travaillent mais aussi ceux qui y mettent de l’argent
Alain Delage : Êtes-vous favorable à la suppression de la taxe d’habitation pour 100 % des Français ?
Personnellement, j’y suis favorable, le président de la République aussi, mais il souhaite que ce sujet soit discuté lors du grand débat national. Ce qui a choqué les gens, c’est l’expression « 20 % des Français les plus riches », en parlant d’un célibataire gagnant plus de 2 500€. Mais je pense que la question peut se poser pour les Français qui payent 15 000, 20 000 ou 30 000 € de taxe d’habitation, soit moins d’ 1% des contribuables.
Alain Delage : Ne faut-il pas mettre en place un impôt sur le revenu plus progressif, et plus lisible ?
Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi les impôts indirects. Chaque année, la TVA ou Taxe sur la valeurs ajoutée rapporte 180 milliards de revenus par an alors que l’impôt sur le revenu c’est 75 milliards. Donc chaque citoyen paye l’impôt et plus encore, par l’intermédiaire de la TVA, les pauvres paient plus que les riches. D’après moi, l’impôt le plus juste est la CSG ou Contribution sociale généralisée car elle vient en proportion de votre salaire. Pourtant, si à la fin du débat des Gilets jaunes, ça se termine par le fait qu’il faut faire payer les gens qui sont au RSA, cela me paraît contre-productif.
Mathias Bourdin : Pourquoi avoir choisi, finalement, de remettre la défiscalisation des heures supplémentaires et une prime exceptionnelle défiscalisée pour certains salariés, ce qui en soit est un moyen d’échapper à l’impôt, et va à l’envers du principe d’équité fiscale ?
Le président de la République a choisi d’aider avant tout le travail. Il a dit qu’il fallait mieux rémunérer ceux qui travaillaient. Chacun peut être d’accord ou pas, mais ceux qui travaillent plus doivent pouvoir être mieux rémunérés. Aider ceux qui travaillent, c’est un débat politique très important. Tout cela pour dire que la justice fiscale n’est pas le cheval de bataille du chef de l’Etat.
LE GRAND DÉBAT NATIONAL. « On verra s’il faut poursuivre le gel des taxes sur les carburants »
Françoise Gourdon : Les impôts des classes moyennes pourraient-ils baisser à l’issue du grand débat national ?
Je suis favorable aux baisses d’impôts, mais cela nécessite la baisse des dépenses aussi. Si on baisse des dépenses, il faudra voir où ? En proposant de supprimer des contrats aidés ou baisser les APL, de réduire le nombre d’agents publics ou les dotations aux collectivités locales, le gouvernement a été taxé d’impopulaire. Les Français veulent moins d’impôts sans baisser les dépenses, ce qui est impossible.
Françoise Gourdon : Le grand débat sera-t-il l’occasion de revenir à une réindexation des retraites sur l’inflation ?
En effet, nous avons décidé qu’en 2019 et 2020, les retraites ne seraient pas indexées sur l’inflation. C’était déjà le cas ces dernières années. C’est vrai, c’est un effort particulier que nous demandons aux retraités.
Françoise Gourdon : On en demande beaucoup aux retraités…
En vérité, aujourd’hui les actifs sont en moyenne plus pauvres que les retraités. Par contre, le gouvernement a revalorisé le minimum vieillesse comme jamais aucun autre ne l’avait fait. Prenons l’exemple d’une infirmière de 25 ans qui travaille à Paris mais qui n’a pas le moyen d’acheter un appartement. Sa vie est plus compliquée que dans les années 1960 avec une heure de RER pour venir à l’hôpital, le fait de rechercher des gardes d’enfants. Les efforts doivent être ainsi répartis donc il faut en débattre.
Alain Delage : Après le gel des hausses de taxes sur les carburants, va-t-on payer deux fois plus en 2020 ?
Cette année, le gel des hausses de taxes sur les carburants représente 4 milliards de recettes en moins pour l’Etat. On verra après le grand débat si l’on poursuit, ou pas, ce gel. Car il y a aussi des Français très attachés à l’idée de faire payer une taxe carbone. Est-ce que la transition écologique doit se faire ? Comment ? Les Français doivent s’exprimer.
Alain Delage : Vous êtes de Tourcoing, donc vous devez savoir qu’un litre de fioul de chauffage coûte en Belgique 62 centimes le litre contre 86 centimes de ce côté-ci de la frontière. Pourquoi une telle différence ?
Cette différence est aussi constatée sur le chocolat, les cigarettes, les paris sportifs, l’essence. Si on veut une Europe forte, il faut avoir une fiscalité commune. Cela éviterait que l’Irlande ait une fiscalité révoltante sur les entreprises ou les Pays-Bas sur les Gafa. Pour que les routiers ne prennent pas leur essence en Belgique en dépit des stations-service françaises, il faut aussi réfléchir à une taxe carbone européenne.
Alain Delage : Je touche un salaire très bas. Pour compléter, je suis gardien dans un parking. Et de ce fait, je n’ai pas droit à la prime d’activité. Avouez que ce n’est pas très motivant, et ça favorise le travail au noir…
Le gouvernement a pris cette mesure de la prime d’activité pour essayer de répondre au mieux à une revendication des Français qui travaillent et sont au niveau du smic. Mais la prime d’activité est compliquée, elle n’est pas automatique et elle crée des effets de seuil donc elle n’est pas la meilleure formule. Il faudra ainsi faire l’allocation unique qui permettra de mieux rémunérer ceux qui travaillent et de ne pas pénaliser ceux qui touchent des prestations sociales.
Samia Ikhentane : Certaines paroles du chef de l’Etat ont choqué les Français, comme la phrase sur le fait qu’ils pouvaient traverser la rue pour trouver un emploi. Elle a mis beaucoup de chômeurs en colère. Regrettez-vous ce style de formules ?
Le chef de l’Etat regrette ses propos. Il faut reconnaitre que ce n’est pas facile de reconnaitre ses erreurs surtout pour des hommes politiques à commencer par moi. Pourtant, il a eu cette sagesse ou cette humilité. Par ailleurs, Emmanuel Macron n’est pas le seul président à qui on reproche des petites phrases, Nicolas Sarkozy et à François Hollande avaient les leurs aussi. Mais on ne peut pas reprocher au président de ne pas être sincère et de ne pas mettre le doigt sur les vrais sujets.