Un tribunal arbitral a condamné lundi le groupe de défense Thales à rembourser des centaines de millions de dollars à Taïwan pour des commissions indûment versées sur la vente de frégates en 1991, une somme dont la majeure partie devrait finalement être réglée par l’Etat français.
PARIS (AFP) - Un tribunal arbitral a condamné lundi le groupe de défense Thales à rembourser des centaines de millions de dollars à Taïwan pour des commissions indûment versées sur la vente de frégates en 1991, une somme dont la majeure partie devrait finalement être réglée par l’Etat français.
Révélée par Le Figaro, cette sentence a été notifiée lundi à Paris par trois juges arbitraux désignés par les deux parties : la marine taïwanaise et Thales.
Elle condamne le groupe d’électronique et de défense français pour avoir rémunéré des intermédiaires en vue d’obtenir la vente de six frégates Horizon à l’île chinoise nationaliste en violation du contrat, baptisé "Bravo" : son article 18 interdisait explicitement de rémunérer des intermédiaires sous peine de restitution à Taïwan des fonds versés.
Thales a été condamné à verser 591 millions de dollars "à titre principal" et à verser des "intérêts qui courent depuis août 2001, date du début de l’arbitrage" et "qu’il reste à calculer", a affirmé à l’AFP Me Xavier Nyssen, avocat de la marine taïwanaise.
"L’estimation préliminaire globale va de 800 millions à un milliard de dollars", a-t-il ajouté en se félicitant d’une décision qui "ne laisse aucune ambiguïté sur la responsabilité de Thales".
"Le montant total de la sentence s ?élève à (...) un total d ?environ 630 millions d ?euros (intérêts inclus)", a indiqué de son côté Thales dans un communiqué.
"Contestant le fondement même de cette condamnation", le groupe a annoncé qu’il "mettrait en oeuvre tous les recours à sa disposition et formerait notamment un recours en annulation contre cette sentence devant la Cour d ?Appel de Paris".
Bien que le groupe français ait été le chef de file du contrat "Bravo", 73% du contrat des frégates, d’un montant total de 2,8 milliards de dollars, revenait à la Direction des constructions navales (DCN), entreprise publique dont l’intervention dans le contrat était garantie par l’Etat.
Selon plusieurs sources proches du dossier, l’Etat devrait donc être amené à prendre en charge 73% du montant réclamé à Thales.
Interrogés par l’AFP, Bercy et DCNS -ex-DCN- se sont refusé à tout commentaire.
Dans son ordonnance de non-lieu dans l’affaire des frégates, le juge Renaud van Ruymbeke avait évoqué ce risque pour la France en cas de condamnation par le tribunal arbitral en relevant que "Thales (et la DCN, donc l’Etat pour les deux tiers) se voient réclamer des centaines de millions de dollars par Taïwan en restitution des commissions versées à (Andrew) Wang", l’intermédiaire chargé de convaincre Taïwan de choisir les navires français.
Le magistrat financier, bloqué dans son enquête sur les bénéficiaires en France de rétrocommissions soupçonnées d’avoir été versées sur ce contrat, s’était vu opposer le secret défense à plusieurs reprises.
Plusieurs anciens ministres, dont Alain Madelin, avaient sans succès appelé à la levée du secret défense —opposé par tous les gouvernements de droite comme de gauche— pour faire la lumière sur cette affaire.
Dans le volet commercial, Taïwan a saisi en 2001 le tribunal arbitral après la saisie par la justice suisse de 520 millions de dollars de fonds appartenant à M. Wang.
L’enquête en Suisse a démontré que ces sommes avaient été versées par Thomson-CSF (devenu Thales) à Andrew Wang. Celui-ci a sans succès demandé à la Suisse de lui restituer ces fonds.