Karim Baouz, un journaliste issu des mêmes cités que Saïd Kouachi a confié dans un livre qu’en 2005, il a rencontré cet homme qui a mené l’attentat contre Charlie Hebdo. Le journaliste ne s’en doutait aucunement alors qu’il enquêtait sur la filière djihadiste en France.
"En 2005, je rencontre Saïd Kouachi : je suis loin de m’imaginer que, 10 ans plus tard...", confie Karim Baouz dans un entretien exclusif pour Metronews. Il y a dix ans, pour "Pièces à conviction", Magali Serre et Karim Baouz ont réalisé un reportage sur un groupe de jeunes. Ils avaient 20 ans, ils fréquentaient la même mosquée et voulaient partir combattre en Irak. Ils étaient qualifiés alors d’apprentis djihadistes. En effet, Les massacres du vendredi 13 novembre, les tueries de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher, les assassinats de Mohammed Merah… Le point commun de ces actes terroristes, c’est qu’ils ont été commis par de jeunes Français devenus des tueurs fanatiques.
Parmi ces jeunes, Chérif Kouachi et son frère Saïd, les deux hommes qui ont assassiné 12 personnes et en ont blessé 11 autres à Charlie Hebdo en janvier 2015. Ils étaient parisiens et ont grandi aux Buttes-Chaumont, dans le 19e arrondissement. Après la diffusion de l’enquête, Karim Baouz a continué à travailler sur ce sujet, "à mettre en lumière ces territoires oubliés de la République" d’où viennent les frères Kouachi et non "à justifier les crimes abominables".
Dans son livre, il décrit une "réalité inquiétante aux portes de Paris". "Cela fait plus de trente ans que ça dure", explique-t-il. "Au départ, ce n’étaient que quelques voitures qui brûlaient et des jeunes qui foutaient la merde dans leur quartier. Aujourd’hui, certains prennent des kalachnikovs et montent à Paris. Il y a une crise identitaire profonde chez certains jeunes qui ne se sentent ni Français, ni étrangers. Dans leur pays d’origine, ce sont des immigrés et en France, on les appelle pudiquement ’les minorités visibles’", souligne le journaliste. Pour autant, il relativise en affirmant que le "malaise identitaire" ne veut pas dire que "tous les jeunes issus de banlieues vont finir terroristes mais on se rend vite compte que les djihadistes viennent de ces territoires délaissés".
Karim Baouz évoque à ce titre Saïd Kouachi. "Lorsque je croise leur route, les frères Kouachi sont des jeunes ordinaires comme il en existe des dizaines en banlieue parisienne. Passionnés par le foot, ils vivent la galère des petits boulots et commettent de petits larcins pour améliorer le quotidien", confie-t-il. Lors de l’enquête réalisée en 2005, il évoque pourtant un garçon méfiant, qui voit des "espions" partout mais qui, une fois en confiance, révèle sa "gentillesse". "Cela peut paraître paradoxal mais c’est un garçon extrêmement gentil et doux", explique-t-il. "Je suis loin de m’imaginer que dix ans plus tard, il va abattre de sang-froid plusieurs personnes", précise le journaliste.
Il explique alors que les frères Kouachi font partie de la "filière des Buttes-Chaumont", une filière de volontaires pour le djihad en Irak. "A la base, c’est une bande de copains qui ont grandi dans le même quartier, gangréné par le trafic et la drogue. Une bande désabusée qui n’attend plus rien de la France et de ses institutions. A l’époque, c’est la "mode" du ’hijra’, à savoir des musulmans qui partent vivre dans un pays musulman. L’engagement en Irak commence. Outre les frères Kouachi, on retrouve Peter Chérif, Rédouane el-Hakim, Mohamed el-Ayouni, Boubaker el-Hakim... Ils vont en quelque sorte devenir les "pionniers" du djihad français, made in Paris. Boubaker el-Hakim sera le premier à partir et il devient une légende, le Mesrine du djihad", affirme le journaliste.
Il conclut en expliquant qu’un fossé le séparait de ces jeunes et que la société "a raté quelque chose" en les mettant à l’écart.