Condamné en 2013 pour attouchement sexuel sur mineur, son cauchemar prend fin en 2015, après avoir été innocenté. C’est la relaxe, après 5 ans de procédure. Ce Réunionnais installé à Trois-Bassins réclame 124 000 euros de dédommagement et n’en a touché que 9 000 euros pour le moment. Il veut aussi être intégralement disculpé par les autorités. Récit de la principale victime.
Tout a commencé le jour où les septuagénaires reçoivent une convocation de la gendarmerie. "On ne comprend pas, on n’a jamais fait de mal à personne !" affirme Marie* incrédule. La convocation ne concerne pas un fait anodin, comme ils l’imaginent au départ.
Paul ✱, l’époux de Marie, est accusé d’attouchement sexuel sur mineur. Sa petite-fille, 4 ans et demi au moment des faits, l’incrimine. L’horreur commence, le gramoune est mis en garde à vue pour 24h. Test à l’hôpital, interrogatoire, jusqu’au procès au tribunal correctionnel de Saint-Pierre. Surprise, la juge le libère. "Elle m’a dit de rentrer chez moi, que je pouvais dormir tranquillement !" souffle Paul. Un soulagement pour l’homme vieilli par l’épreuve, lui qui avait toujours clamé son innocence.
Le procureur décide de renvoyer le dossier devant la cour d’appel de Saint-Denis. Paul Bègue est donc jugé une seconde fois. Là, nouveau coup dur, le couple n’a pas pu payer un avocat. L’accusé se retrouve seul à la barre, il est dans l’incapacité de se défendre devant les accusations du juge.
La décision des magistrats ne se fait pas attendre. Ces derniers retiennent la culpabilité et condamnent le retraité à 4 ans de prison. "Je ne voyais que son dos, il ne m’a pas reconnue quand ils l’ont emmené, articule péniblement Marie, je suis partie en criant, les larmes aux yeux ! " C’était le 31 octobre 2013.
Celui que la justice a jugé comme pédophile craque, aveuglé par le verdict. C’est le trou noir. Il est incarcéré à la prison de Domenjod. Le choc est tel qu’il ne s’alimente plus, la dépression le guette.
Paul ne baisse pourtant pas les bras et sous les conseils d’un codétenu, il décide de se battre. Il fait appel à Maître Robert Ferdinand, avocat au barreau de Saint-Denis. "J’ai reçu une lettre de ce vieux monsieur m’expliquant qu’il ne comprenait pas pourquoi il se trouvait en prison".
Interpellé par cet écrit, l’homme de loi met tout en place pour le faire sortir de sa cellule. Le défenseur réussit à obtenir la liberté provisoire pour son client après 4 mois et 20 jours de détention. Cependant le mal est fait, l’enfermement l’a détruit. Abandonné, banni, son retour dans la petite ville de l’ouest est difficile. Les idées noires le minent. Les amis, la famille, beaucoup lui tournent le dos. Tous les jours, il doit passer au commissariat.
Maintenant, il doit retrouver ses droits.
Nouveau jugement en 2015 devant la cour de cassation. L’avocat réussit à casser l’arrêt de la cour d’appel. "Lors de son procès, Monsieur Bègue n’avait pas bénéficié d’avocat commis d’office, c’est une faute grave du service public de la justice", se scandalise Maître Ferdinand. C’est la relaxe, après 5 ans de procédure. Cinq ans, où il n’a pas pu voir ses petits-enfants. Comment peut-on réparer le mal fait ? L’Agent Judiciaire du Trésor lui propose 9 000 euros. "Aujourd’hui on a dépensé 10 000 euros de frais, et là ils veulent nous donner 9 000 euros ? ironise Marie, la justice est à l’envers !"
L’avocat reste abasourdi par la décision : "C’est ahurissant ! L’Agent considère que mon client n’a pas eu une mauvaise détention, qu’elle ne lui a pas causé un tort particulier !" Rapporté au nombre de jours que le vieil homme a passé en prison, le montant proposé équivaut à 64 euros par jour. "On vous accuse de viol, on vous traite comme le pire des terroristes lors du procès, vous envoie en prison, et après ça on vous dit que ça fait 64 euros pour votre liberté", incrimine le conseil. Le couple est brisé. Maître Ferdinand s’indigne de la proposition faite par l’Agent : "Si on était aux États-Unis, il aurait touché des millions".
Sur les conseils de leur avocat, le couple demande 124 000 euros de dédommagement. Divisé en trois montants : 60 000 euros pour préjudice moral, 60 000 euros pour préjudice corporel et 4 000 euros de frais irréductibles, qui comprennent entre autres les frais d’avocat.
"Ça nous permettrait de voyager, partir de l’île pour oublier tout ça !" Même s’ils affirment que l’argent ne raccommodera pas les blessures, leur peine a grandement diminué lorsque leur petite-fille a déclaré à son grand-père : "C’est pas toi qui m’a fait ça !". Mais le mal, lui, était fait !
La décision d’indemnisation est dorénavant entre les mains de la Commission nationale de réparation des détentions. Cette formation rattachée à la Cour de cassation est basée à Paris. Elle a le pouvoir de décision en matière de réparation d’erreur judiciaire.
Selon l’article de loi, "la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement (voir par ailleurs), a la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention."
Les victimes de la justice peuvent donc réclamer des frais aussi bien d’avocat, de déménagement consécutif à l’incarcération, que de revenus. Le montant des indemnisations en 2015 en France dépasse les 9 millions d’euros avec 444 indemnisations. Le taux de demandes acceptées dans les affaires d’indemnisation atteint 84 %.
La loi prévoit l’indemnisation de personnes bénéficiant d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’une relaxe. Comment celle-ci est appliquée ? Est-ce qu’une vie perdue peut-être réparée grâce à des milliers d’euros ? Des destins différents, brisés par la justice, jamais réparés.
Avec des montants différents selon les affaires. Comme avec Bernard Tapie qui a bénéficié pour l’affaire de la revente d’Adidas, de 45 millions d’euros de préjudice moral, alors qu’il n’avait pas fait de prison. Ou encore Karine Duchochois indemnisée de 150 000 euros, seule des treize acquittés d’Outreau à n’avoir pas été incarcérée. Patrick Dils, accusé à tort d’homicides volontaires sur deux garçons, a lui enduré quinze années de prison. L’homme brisé a obtenu 1 million d’euros de dédommagement après son acquittement. À peu près 180 euros par jour de détention, pour quinze années gâchées.
Du temps perdu, c’est le cas pour l’entrepreneur Saint-Josephois, Dhaled Mamode. En février 2015, un escadron de gendarmerie de Saint-Paul, débarque dans son magasin familial de vêtements. Toute la nouvelle collection est saisie. La cause, les feuilles de cannabis floquées sur les t-shirts. "On voulait surfer sur la tendance du moment, justifie le responsable, on voyait du zamal partout sur les fringues". Sur l’île, il n’est pas le seul à avoir eu l’idée. Seulement, le créateur de la marque Rasta Vibration sera le seul perquisitionné. Le coup est dur, 40 000 euros de marchandise partie en fumée.
La marque locale implantée depuis 1998 à Saint-Joseph vit des heures sombres. Obligé de payer les fournisseurs, sans nouvelles collections, le patron accuse le coup.
"On a eu beaucoup de complications au niveau du capital, la marque a failli disparaître". Le temps de la procédure est long. La justice leur propose un compromis, payer une amende et l’affaire s’arrête là. Le directeur de la marque refuse suivant les conseils de son avocat. L’affaire est renvoyée au tribunal.
Le 21 février 2017, soit deux ans après la saisie de la marchandise, le procès s’ouvre. "En dix minutes c’était réglé, se console le prévenu, on a été relaxé avec obligation que la marchandise nous soit rendue". Un nouveau départ pour l’entreprise familiale, qui attend désormais le jugement pour lancer une procédure d’indemnisation. Un dédommagement difficile à calculer pour la marque. Une chose est sure, le commerçant saura tirer profit de cette affaire. La marchandise confisquée, une fois récupérée, sera présentée comme une collection collector.
"C’est assez rare que les collections soient saisies, on aura de la demande par rapport à cette collection", pressent l’homme d’affaire. Tout ça suite à une erreur de jugement de la sous-procureure portant atteinte à l’image de cette marque. Une mauvaise publicité pour la société de Dhaled Mamode. Mais il reste optimiste. Aujourd’hui, il s’agit pour lui de retrouver une crédibilité, "on va se remettre au charbon".