A un mois du premier tour des élections départementales, le politologue Yvan Combeau apporte un éclairage précis. Selon lui, au niveau national et départemental, deux contextes se croisent. Explications.
Carte blanche à Yvan Combeau
"National, départemental : deux contextes se croisent"
Les élections départementales ont toujours été des indicateurs de grande pertinence pour l’histoire de la vie politique française.
Sans revenir sur l’historique de ces scrutins, quelles dates peuvent rappeler la force des scrutins locaux. Sur l’axe chronologique, on peut inscrire les consultations de 1976 ou 1992 qui ont déstabilisé les pouvoirs politiques de Matignon à l’Elysée. Scrutins intermédiaires ou non, ces échéances locales (même dans le cadre d’un renouvellement par moitié) ont constamment bousculés l’équilibre du moment ou renforcé les dynamiques politiques.
En 2015, les départementales sont attendues voire redoutées.
Les scores du Front National seront bien sûr disséqués afin d’évaluer le souffle d’une progression régulière qu’exprime les sondages mais plus encore les élections municipales, européennes et toutes les consultations partielles. L’expression électorale de la circonscription du Doubs prolonge un élan qui s’affirme depuis plusieurs mois.
Des élections riches d’enseignements aussi pour le gouvernement et l’exécutif présidentiel. Les estimations annoncées sont redoutables parce qu’elles constitueraient (conditionnel !) un nouveau revers et la puissance d’un profond désaveu de l’opinion.
Les socialistes comptent désormais sur une remobilisation de leur électorat pour minorer l’effet des départementales. A trop prévoir l’échec cuisant (ne conserver qu’une vingtaine de département), il est évident qu’une perte de faible ampleur serait « une bonne nouvelle » et pourrait s’examiner comme une simple sanction, phénomène classique dans des scrutins à mi-mandat. Quant à l’UMP, il attend de la stratégie de Nicolas Sarkozy un rebond et des gains dans des dizaines de départements.
Une nouvelle carte de la politique française en inversant les rapports de forces : tel est l’objectif de l’UMP qui souhaite gagner au moins 60 départements.
Une reconquête des positions pour effacer les mauvais chiffres des scrutins de mars 2011. Quant à la gauche de la gauche et aux Ecologistes, ils espèrent aussi réunir les votes d’un électorat qui en 2012 avait rassemblé plus de quatre millions de voix. Une nouvelle fois, le calcul et l’analyse des scrutins devront plus prendre en compte les suffrages des inscrits que ceux des exprimés.
Pour saisir les mouvements du corps électoral, il faut en effet partir de la participation (et donc de l’abstention sanction) pour aller dans le détail des dynamiques partisanes.
Et à La Réunion ? Comment s’inscrit-elle dans ce tableau ?
Les structurants de la vie politique différencient le département. Les élections pour le prochain premier (et peut être unique) Conseil départemental sont très ouvertes, et donc bien incertaines. La logique des binômes au sein de nouvelle circonscription constitue une nouvelle « offre politique ».
Certes, des figures connues, et bien ancrées, de la vie politique locale s’inscrivent dans ces nouvelles cohérences. Elles constituent des points d’appui, des pôles de repères pour un électorat qui doit en deux mois appréhender les nouveaux mécanismes de fonctionnement électif des cantons.
Nonobstant ces continuités, il est remarquable de constater que dans les cantons s’opèrent des rapprochements, voire des conversions politiques avec la formation de duos politiques parfois inattendus. Au corps électoral d’évaluer l’efficacité de ces associations qui passe les clivages traditionnels.
Dire que « tout est possible » serait excessif, mais minimiser l’effet de ces recompositions politiques (qui plus largement caractérise la vie politique de La Réunion depuis au moins 2010) serait une erreur dans l’analyse des projections sur les équilibres de l’après 29 mars au sein du Conseil départemental. Les batailles électorales de mars prochain ne doivent surtout pas être simplement annexées aux futures régionales comme « un avant tour électoral ». Elles s’agencent de manière autonome. Bien sûr qu’aucune élection ne peut être isolée sur une chronologie telle que l’année politique de 2015.
Mais, le processus électoral des départementales peut construire ses propres logiques et devenir un élément déterminant dans la marche des régionales.
L’état des forces politiques actuelles avec son atomisation et le poids des personnalités peut donner aux départementales une force de préfiguration capable de modifier la donne électorale.
Sur cette logique d’une force constitutive politique en marche, l’équilibre interne au Conseil départemental (avec des binômes qu’il ne faut pas examiner comme des unités figées) a d’évidentes potentialités pour brouiller les accords, modifier les représentations et les ententes politiques existantes.
Et le moment de l’élection à la présidence de ce conseil départemental constitue chacun le perçoit un temps fort (« un vote-clé ») pour ceux qui veulent déranger les actuelles arrangements et créer de nouvelles lignes de forces et/ou de nouvelles stratégies d’alliances dans le paysage politique réunionnais.