A travers une tribune libre, la présidente du conseil général tire la sonnette d’alarme en ce qui concerne le suicide chez les jeunes. "Un drame sociétal qui cause tant de souffrances, qui meurtrit tant de familles".
Tribune libre de Nassimah Dindar
Suicide : entendons le cri d’alarme de notre jeunesse !
"Il n’y a qu’un seul problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide", écrivait Albert Camus.
De philosophique, ce problème est devenu sociétal et le dernier drame survenu au lycée de Sainte-Marie vient nous le rappeler avec tristesse et gravité. Selon l’association Prévention Suicide, entre 7 et 10 tentatives de suicide sont enregistrées chaque jour à La Réunion. 600 environ se terminent dans les services hospitaliers des urgences. Et récemment, un psychologue de l’association Sos Solitude me faisait remarquer qu’un Réunionnais meurt tous les trois jours par suicide.
Pourtant, même s’il touche toutes les classes d’âge, le suicide affecte particulièrement les plus jeunes d’entre nous. Une enquête épidémiologique nationale, menée par la faculté de médecine et l’Institut universitaire de santé public de Poitiers et l’Observatoire régional de la santé d’Alsace, fait état aussi de chiffes alarmants : à 15 ans, près de 21 % des filles et près de 9 % des garçons ont déjà tenté de se suicider. La situation est plus grave encore à La Réunion. Comme le signale l’Observatoire régional de la Santé dans l’une de ses récentes études : « La Réunion est la 3e région la plus concernée par le suicide des jeunes de 10-24 ans. (…) La Réunion se caractérise par des taux de mortalité par suicide particulièrement élevés chez les jeunes. 75% des suicides ont lieu avant 55 ans, dont 15% avant l’âge de 25 ans ».
Chaque drame est évidemment unique, et les causes d’un tel passage à l’acte chez un adolescent sont évidemment multiples. Mais nous savons tous combien l’adolescence est un moment difficile à vivre, plein d’angoisses, de questionnements sur soi et les autres. Et cette fragilité est parfois accentuée par des difficultés familiales, un échec sentimental, ou par un phénomène encore émergent mais dont les conséquences peuvent être dévastatrices : le cyber-harcèlement.
Emile Durkheim l’indiquait déjà : « la cause productrice du phénomène échappe nécessairement à qui n’observe que des individus ; car elle est en dehors des individus. Pour la découvrir, il faut s’élever au-dessus des suicides particuliers et apercevoir ce qui fait leur unité ». Ce qu’il écrivait à la fin du XIXe siècle est encore d’actualité en 2014, plus d’un siècle après ! Force est de reconnaître que le climat général est lui-même oppressant pour notre jeunesse : notre société ne lui donne plus assez de motifs d’espérance, alors que 60% des moins de 25 ans sont au chômage et que même le diplôme ne constitue plus un accès certain à l’emploi.
En tant que Présidente du Conseil Général, qui a en charge les collèges, mais aussi en tant que Réunionnaise, je ne peux pas rester insensible à ce drame sociétal, qui cause tant de souffrances, qui meurtrit tant de familles.
Le plan national de lutte contre le suicide, qui a été présenté début de ce mois par la Secrétaire d’État à la Santé, Nora Berra, va dans le bon sens, tout le monde le reconnaît. Mais il est nécessaire que l’Etat prenne en compte la dimension réelle de ce phénomène sociétal en dotant ce plan d’un budget conséquent. Si l’on meurt trois fois plus par suicide que sur les routes françaises, ce plan national sera pourtant doté d’un budget 30 fois inférieur à celui de la Sécurité Routière ! Ce n’est pas ainsi que nous pourrons obtenir des résultats.
Il faut en effet favoriser et multiplier les cellules d’écoute, notamment dans les établissements scolaires, où est constatée une pénurie de médecins et d’infirmiers ; il faut aussi pouvoir accompagner les associations œuvrant dans la parentalité pour que les parents soient mieux à même de détecter et de prendre en compte les signes avant-coureurs ; il faut enfin, communiquer largement sur les dispositifs et structures existants, que les jeunes sachent vers qui se tourner avant qu’il ne soit trop tard.
Je me suis, pour ma part, engagée à mettre en place avec le Rectorat un plan de lutte et de prévention contre le cyber-harcèlement dans les collèges. J’ai encore en mémoire le cas poignant de Marion Fraisse, cette jeune fille qui fréquentait un collège dans l’Essonne, qui ne supportant plus les injures dans son établissement scolaire et sur un réseau social, a mis fin à ses jours. Il ne faut pas que de tels drames puissent se produire ou se reproduire à La Réunion !
Enfin, il est important de pouvoir à nouveau offrir des horizons à notre jeunesse. C’est ce à quoi s’efforce le programme Ambition jeunesse que j’ai initié au Conseil Général, qui, depuis les conditions d’étude et d’activités périscolaires dans les écoles et collèges jusqu’aux emplois en mobilité, en passant par les bourses ou l’Académie des Dalons pour des jeunes en situation de quasi rupture sociale, s’attache à donner tous les moyens possibles pour que notre jeunesse puisse s’épanouir. C’est aussi pour cela que j’ai, encore tout récemment, plaidé auprès du ministre délégué aux Affaires Européennes pour que le programme européen IEJ, doté de 73 millions d’euros sur deux ans, puisse être géré localement facilitant ainsi le déblocage des fonds et l’émergence de projets.
"Celui qui voit un problème et qui ne fait rien, fait partie du problème" nous rappelle Gandhi. Nous constatons tous le problème du suicide particulièrement chez nos jeunes. Ne faisons pas partie de ce problème : agissons !
Nassimah Dindar