La ministre des Outre-Mer, Éricka Bareigts, a pris la parole au Sénat au sujet de son projet de loi sur l’égalité réelle.
Voici le discours d’Éricka Bareigts au Sénat :
"Il y a plus de 70 ans, Aimé CESAIRE, Léopold BISSOL, Gaston MONNERVILLE et Raymond VERGES défendaient ici, au sein du Parlement, avec panache et passion, l’inscription des Outre-mer au cœur de la République.
Le 19 mars 1946, les « quatre vieilles colonies » - la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane - devenaient officiellement des départements. Au-delà de ces territoires, ce débat venait confirmer la pleine participation de l’ensemble des Outre-mer au roman national.
Les Outre-mer s’inscrivent fièrement dans la communauté de valeurs et d’idéaux qui définissent la France.
Car, la France n’est pas qu’un territoire : la France est avant tout un principe.
Etre Français, c’est vouloir participer aux destinées de ce pays. C’est faire siennes les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ; c’est défendre une certaine idée de l’Homme, attachée à sa dignité et à ses droits fondamentaux. Etre Français, c’est, enfin, désirer vivre ensemble, tous, autant que nous sommes, par-delà les différences. Etre Français, c’est continuer à construire la France, chaque jour, cette France ouverte à tous, cette France qui rayonne magnifiquement dans les trois océans !
Voilà notre vision de la Nation ! Voilà pourquoi il est possible d’être Français tout en vivant dans l’océan Pacifique, Atlantique ou Indien ! Voilà pourquoi notre Nation porte en son cœur même les valeurs de l’Universel !
Aujourd’hui, malheureusement à l’heure où nous parlons, les promesses de la République ne sont encore que partiellement honorées. Permettez-moi de citer quelques chiffres.
Malgré une augmentation de l’emploi privé, neuf fois supérieure à celle constatée dans l’Hexagone depuis 2012, le taux de chômage demeure deux fois plus élevé dans les Outremer. Il y est même jusqu’à trois fois supérieur à Mayotte.
Le taux de décrochage scolaire est également deux fois plus élevé dans les Outre-mer.
Quant au taux de mortalité infantile, il est actuellement, dans les DOM, égal à celui qui était observé dans l’Hexagone il y a 23 ans. Ce sont les statistiques officielles. Elles sont très alarmantes.
Ici, dans cette haute assemblée, j’aimerais que chacune et chacun d’entre vous réalise que près de trois millions de nos concitoyens, sont davantage exposés à l’échec scolaire, à la pauvreté des familles ou au chômage. Pouvons-nous tolérer plus longtemps de telles inégalités ?
Pourtant, je regrette que certains considèrent encore le sort des Outre-mer avec désinvolture, trouvant l’examen de ce projet de loi « amusant ». Une telle désinvolture est non seulement vexante pour les parlementaires – et notamment l’ensemble des députés et sénateurs qui ont déployé une détermination qui mérite d’être saluée – mais elle l’est aussi pour les populations ultramarines.
La situation des Outre-mer n’est-elle pas un motif de mobilisation pour nous tous, quelle que soit notre appartenance politique, nous, les enfants de la République ?
Comment ne pas unir nos forces pour agir contre des écarts si insensés au sein même de notre pays ?
Je le dis avec gravité car je sais que nombreux sont nos concitoyens ultramarins qui nous observent aujourd’hui et qui attendent de nous des actes.
Quel que soit le territoire où ils vivent, nos compatriotes doivent disposer des mêmes droits et, au-delà, des mêmes opportunités de développement et d’épanouissement. C’est cela l’égalité réelle !
Je veux le dire à tous ceux qui ne connaissent pas les Outre-mer : ces territoires sont riches en atouts et en talents. Il nous faut dépasser les clichés et représentations erronées ainsi que renouveler en profondeur nos politiques publiques afin de les adapter réellement aux spécificités des territoires.
La dynamique que nous initions aujourd’hui s’inscrit dans une logique de long-terme.
Je me félicite que notre ambition pour les Outre-mer nous ait tous rassemblés : Parlement, gouvernement et société civile. Tous exprimaient fortement cette volonté de créer les conditions de l’égalité réelle.
Le président de la République, François HOLLANDE, a initié cette dynamique en faveur de l’égalité réelle pour les Outre-mer en s’engageant en 2015 à l’impulser. Le chef de l’Etat a demandé à Victorin LUREL, dont on connaît la pugnacité et l’implication, d’écrire un rapport à ce sujet. Ses travaux remis en mars 2016, à l’issue d’une large concertation, ont constitué une solide base de travail pour ce Projet de Loi.
Je tiens également à saluer l’engagement constant du Premier ministre Bernard CAZENEUVE ainsi que de son prédécesseur Manuel VALLS en faveur de ce texte.
Je souhaite bien évidemment remercier George PAU-LANGEVIN, avec qui j’ai travaillé sur ce Projet de Loi.
Ce texte a également été largement enrichi par les contributions des assemblées locales, ainsi que du CESE dont je salue le travail sur la notion d’égalité réelle.
Je me dois également de souligner les nombreux citoyens, de l’Hexagone ou d’Outre-mer, qui ont contribué à la construction de ce texte. Près de 2000 internautes nous ont fait part, grâce à la consultation numérique, de leurs préoccupations pour leur quotidien et pour leur territoire. Nous avons écouté chacun avec la plus grande attention.
Enfin, je souhaite sincèrement saluer le travail des membres du Parlement.
Comme je l’avais annoncé en commission et comme cela a été réalisé avec vos collègues députés, je souhaitais mener avec vous un véritable travail de co-construction. Dans vos commissions, celui-ci fut particulièrement dense et important et je m’en félicite ! Voilà la preuve de notre volonté partagée de travailler pour l’intérêt général et pour la République !
Plusieurs membres de votre assemblée ont plus particulièrement animé cette réflexion commune, et méritent, à ce titre, mes remerciements.
Le travail que nous avons réalisé, sérieux, basé sur des évaluations précises et sur une très bonne connaissance des dossiers, est à l’écoute de la société civile.
Je salue le travail important mené par les rapporteurs et que j’ai lu avec le plus grand intérêt.
- Mathieu DARNAUD, rapporteur de la commission des lois, pour son écoute constructive et son implication.
- Michel MAGRAS, rapporteur des affaires économiques et président de la délégation aux Outre-mer, pour ses connaissances pointues et son intérêt constant.
- Chantal DESEYNE, rapporteur de la commission des affaires sociales
- Vivette LOPEZ, rapporteur de la commission des affaires culturelles
- Jean-François MAYET, rapporteur de la commission du développement durable
- Michel CANEVET, rapporteur de la commission des finances.
C’est avec honneur que le gouvernement, comme de cette assemblée, initient cette nouvelle dynamique pour les Outre-mer qui nous mobilisera pour les prochaines années. Elle structurera les politiques publiques en faveur de nos territoires.
Je l’ai dit : il faut renouveler nos politiques pour créer les conditions de l’égalité réelle au sein des Outre-mer.
Renouveler nos politiques, c’est d’abord les concevoir en partant des réalités locales !
C’est toute l’ambition de ce Projet de Loi : les politiques publiques seront adaptées aux réalités et aux atouts de chaque territoire.
Il nous faut porter une logique nouvelle pour les Outre-mer grâce à un outil particulier – les plans de convergence. Ils seront déterminés en partenariat entre l’Etat et les territoires afin de définir des stratégies de développement au plus près du terrain. Car les priorités de Mayotte, la Polynésie française ou la Guadeloupe ne sont pas nécessairement les mêmes.
Ces plans de convergence permettront de rompre avec la logique assimilationniste pour s’adapter aux réels besoins des territoires. Le projet de Loi incarne un véritable changement de méthode et de vision.
Cette logique innovante et participative permettra à tous les acteurs d’avancer ensemble au service du progrès et du développement durable de leurs territoires.
C’est ainsi que nous allons créer les conditions à même d’amplifier l’essor économique des Outre-mer pour répondre aux besoins de dignité par le travail.
Les stratégies différenciées et co-construites qui seront mises en place projetteront ces territoires vers l’émancipation économique, culturelle et éducative dans le cadre de la République. C’est une grande avancée que nous portons ensemble !
Renouveler nos politiques, c’est également créer les conditions de l’égalité réelle !
La convergence entre les Outre-mer et l’Hexagone suscite toujours de nombreuses attentes de la part de nos concitoyens ultramarins. Bien sûr, cette longue marche vers le respect et la dignité est déjà entamée.
Je veux ici rendre hommage au Président François MITTERRAND qui a obtenu l’alignement des allocations familiales sur les montants hexagonaux en 1993, mais également au Président Jacques CHIRAC qui a porté le SMIC ultramarin au niveau de l’Hexagone en 1996. Au-delà des clivages politiques, l’amélioration du sort des Outre-mer fut un objectif unanimement partagé. Il le demeure, et je m’en réjouis.
Cependant, il reste encore aujourd’hui à parachever l’égalité sociale. Les montants ou les conditions d’accès à certaines prestations sociales diffèrent toujours entre l’Hexagone et les Outre-mer. Certaines prestations n’y existent tout simplement pas en dépit de besoins importants. Ces écarts ne peuvent pas être acceptés au sein de notre République. Imagine-t-on les Vosges bénéficier d’une prestation sociale mais pas la Haute-Vienne ? Les Outre-mer ne quémandent rien ; ils n’exigent que l’égalité.
Grâce au soutien résolu du Président de la République, qui s’est engagé à mettre en œuvre le Projet de Loi dès 2017, et à celui du Premier ministre, les montants de nombreuses prestations sociales vont être harmonisés à terme avec ceux de l’Hexagone, afin de lutter contre la pauvreté qui frappe encore sévèrement les familles ultra-marines.
Dès avril 2017, les plafonds de ressources du complément familial seront augmentés : 2400 familles modestes supplémentaires pourront ainsi bénéficier du complément familial.
L’alignement progressif de l’Assurance Vieillesse pour les Parents au Foyer (AVPF) va garantir, pour la première fois, à 5 000 personnes supplémentaires une continuité dans leurs droits à la retraite.
Enfin, un effort accru a été entrepris concernant Mayotte, département le plus pauvre de France qui a grandement besoin de bénéficier pleinement de la solidarité nationale. Le rythme de convergence des allocations familiales sera significativement accéléré et de nouvelles prestations sociales, comme le complément familial, seront déployées. Ce n’est là que justice pour nos compatriotes !
Il y a plus d’un siècle et demi, votre prédécesseur, Victor SCHOELCHER, affirmait : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle n’exclut personne de son immortelle devise : liberté - égalité - fraternité."
A nous, les héritiers de SCHOELCHER, de respecter et réaliser pleinement ce vœu !
Renouveler nos politiques, c’est aussi élargir notre conception de la mobilité !
Plus de 15 000 jeunes Ultramarins partent tous les ans dans l’Hexagone pour leurs études supérieures. Plus de la moitié d’entre eux sont toujours dans l’Hexagone 6 mois après la fin de leur formation. Ce phénomène est d’autant plus regrettable que les territoires ont besoin du retour des talents pour nourrir leur vitalité économique et sociale.
Notre soutien à la mobilité porte aujourd’hui principalement sur des trajets des Outre-mer vers l’Hexagone. C’est important mais je propose également qu’elle soit désormais conçue comme une mobilité allant dans le sens inverse, celle du retour.
J’ai ainsi souhaité que les jeunes ayant suivi leurs études ou leur stage dans l’Hexagone puissent bénéficier d’aides jusqu’à 5 ans après la fin de leur formation pour revenir dans leurs territoires d’origine s’ils le souhaitent. Ces mesures s’inscrivent dans une politique globale de mobilité qui profite pleinement aux Outre-mer et qui valorisera l’embauche de talents locaux.
C’est un véritable progrès pour nos territoires ! C’est même un changement structurant pour les Outre-mer ! D’autres progrès sont à noter en matière de lutte contre la vie chère. Plusieurs mesures sont par exemple destinées à encourager la production locale et renforcer les échanges régionaux.
Ce texte permettra également de lutter contre les discriminations. Un article rappelle ainsi que le refus d’une personne, en raison de sa domiciliation bancaire hors de l’Hexagone, constitue bien une discrimination. J’y reviendrai dans le cadre de nos discussions.
Enfin, le dispositif cadre d’avenir à Mayotte permettra la formation de cadres dans l’Hexagone ou à La Réunion à condition de revenir par la suite au sein de leur département d’origine. Cette mesure, inspirée par le dispositif porté par Michel ROCARD en NouvelleCalédonie, permettra d’élever le niveau de compétences local.
Je ne doute pas que le travail intense qui aura lieu dans le cadre du Projet de Loi Egalité Réelle Outre-mer permettra de nouvelles avancées, notamment sur l’accélération du parachèvement de l’égalité sociale. Nous pourrons évoquer ces points au cours de nos échanges.
Ce Projet de Loi appellera sans doute d’autres mesures dans les mois ou les années qui viennent : le combat pour l’égalité ne s’achève pas là.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Parce que je suis Ministre des Outre-mer, parce que je suis ultra-marine et que mon histoire personnelle comme beaucoup de celles de nos concitoyens et mon engagement politique sont marqués par ce combat pour l’égalité, c’est avec une émotion particulière que je vous présente ce Projet de Loi. Pour moi, pour les Ultramarins, la solidarité nationale a un sens profond.
Ceux qui croient que les Outre-mer peuvent encore attendre se trompent lourdement. Il est urgent d’agir. Il est crucial de changer radicalement notre stratégie.
Le général de Gaulle, dans son discours de Basse-Terre, en Guadeloupe, affirmait « La politique la plus coûteuse, la plus ruineuse, c’est d’être petit. ».
N’ayons pas peur de la grandeur pour nos Outre-mer !
Portons-nous à la hauteur des espoirs et des attentes légitimes de nos compatriotes !
Soyons fiers, tous, autant que nous sommes, de ce que nous allons accomplir pour rétablir la fierté des Ultramarins !
Le progrès, oui, le progrès que nous portons, n’est pas que pour les Outre mer : il est pour la République toute entière !
Il honore notre pays, ses principes et ses valeurs. Car la France n’est la France que lorsqu’elle lutte pour l’égalité. La France n’est la France que lorsqu’elle s’accepte telle qu’elle est, océanique, riche de sa diversité."