L’amendement sur les jours fériés devrait être examiné d’ici la fin de la semaine. Voici en intégralité la tribune de la députée socialiste Ericka Bareigts concernant ce projet d’amendement.
La députée PS Ericka Bareigts a d’ores et déjà annoncé - le 14 janvier dernier - sa volonté de déposer un amendement dans le cadre de la Loi Macron. L’élue souhaite attribuer en Outre-mer des jours fériés aux autres confessions.
Le partage des jours fériés au coeur des débats
En France, le calendrier comporte 11 jours fériés, 12 à La Réunion avec le 20 décembre.
La majorité de ces jours chômés concernent des fêtes religieuses chrétiennes, fête du Travail, armistices et 14 juillet mis à part. Depuis plusieurs années à La Réunion, des confessions comme l’hindouisme réclament l’intégration de leurs spécificités culturelles et religieuses dans le calendrier.
A l’heure où la France est marquée par des débats autour de la religion et de la laïcité, la députée socialiste Ericka Bareigts estime légitime de discuter du sujet.
Un amendement bientôt déposé
Un amendement va être déposé à l’Assemblée nationale d’ici la fin de la semaine. La proposition de remplacer des jours fériés pour des événements culturels, historiques ou cultuels qui ont marqué notre île est un projet de longue date.
"La demande émane du groupe inter-religieux. En 1975 d’abord, la communauté tamoule exprime la proposition. En 2010 ensuite, le groupe inter-religieux écrit à l’ensemble de parlementaires, en vain" rappelle la députée socialiste.
La tribune de la députée socialiste Ericka Bareigts
"Permettez-moi de retracer brièvement l’histoire des jours fériés. Initialement, les jours fériés, tous liés à la religion catholique, ont été posés afin de permettre aux fidèles de participer à la messe et de s’abstenir « de ces travaux et de ces affaires qui empêchent le culte dû à Dieu, la joie propre au jour du Seigneur ou la détente convenable de l’esprit et du corps ». A la veille de la Révolution française, il y avait entre 40 et 50 jours fériés. La France paysanne y est très attachée, comme les feux de la Saint-Jean. Napoléon en supprime tout de même la plupart en les liant au dimanche le plus près. Face à la grogne populaire incessante, la IIIème République réinstaure certains jours, comme le lundi de Pâques. C’est désormais un acquis social.
Progressivement, et notamment au fil du XXème siècle, la France devient multiconfessionnelle et multiculturelle. Un beau panachage se fait et est de plus en plus reconnu par le droit. Que ce soit dans la fonction publique, avec des textes réglementaires remontant à 1950 sous le général De Gaulle et régulièrement remis à jour depuis, ou dans certaines professions grâce aux accords de branche ou à une disposition législative, des jours fériés sont depuis des décennies accordés aux travailleurs qui veulent assister aux principales fêtes de leurs cultes.
On voit donc que le principe de laïcité invoqué par l’UDI ne correspond pas à une tradition républicaine ancrée depuis au moins 65 ans et qui n’a jamais été contestée, ou du moins pas par cette formation politique.
D’ailleurs, l’application stricte de leur interprétation de ce principe les conduirait logiquement à demander la suppression pure et simple de tous les jours fériés catholiques du calendrier républicain. Je ne pense pas que ce soit ce que monsieur Lagarde souhaite.
La Réunion en particulier et les Outre-mer en général sont multiculturels.
Cette proposition c’est l’unité dans la diversité. Elle permettra à chaque Réunionnais, Ultramarins et Français de mieux connaître son histoire. Celle du peuplement de notre île par exemple.
A La Réunion, nous sommes indiens, chinois, malgaches, malbars, européens, kafs, comoriens … En un mot comme en dix : nous sommes créoles. Notre histoire culturelle est riche et complexe. Nous devons l’apprendre davantage.
Et alors que nous commençons à avoir des chercheurs réunionnais, que l’enseignement, l’éducation se sont déployés, nous commençons à connaître notre histoire. Ne faudrait-il pas lui rendre la place qui est la sienne ?
L’adaptation du droit à nos spécificités est autorisée par notre Constitution, contrairement à ce que dit le président de l’UDI. D’ailleurs la loi du 30 juin 1983, relative à la commémoration de l’abolition de l’esclavage permet de célébrer le 20 décembre à La Réunion en l’établissant comme jour férié. Rien ne nous empêche de continuer à utiliser ce droit. Une société tolérante doit accepter et être fière des différences de chacun.
Cet amendement est la matérialisation de notre unité et la mise en cohérence de notre calendrier avec nos origines. Notre unité passe par la reconnaissance de cette diversité. A aucun moment il est dit comme Jean Christophe Lagarde le prétend qu’un musulman ou un juif travaillera le 25
décembre, jour qui d’ailleurs n’est pas concerné par mon amendement, Noël étant largement sécularisé aujourd’hui en France. Jean-Christophe Lagarde ferait mieux de lire ne serait-ce qu’une fois la proposition d’amendement avant de s’exprimer publiquement sur un sujet qu’il ne comprend pas. En outre, je ne pense pas qu’il connaisse réellement La Réunion. Il devrait demander à sa représentante locale, Nassimah Dindar de lui expliquer notre vivre-ensemble. Il serait d’ailleurs intéressant qu’elle exprime son avis, car pour l’instant elle assourdit par son silence.
Indéniablement, elle semble préférer passer par son président en hexagone pour exprimer une opinion sur l’identité réunionnaise.
Nous ne demandons pas de supprimer ou d’ajouter des jours fériés. Nous demandons simplement le partage. Nous souhaitons faire de ces fêtes des jours conviviaux, durant lesquels les Réunionnais célébreront leur métissage et leur diversité. Il reviendra au préfet d’en définir les contours.
Ainsi, loin de voir la République s’adapter aux religions comme le craint monsieur Lagarde (ce qui, au demeurant, est déjà le cas) nous républicains serions des fêtes religieuses. Tel est le modèle de société que nous prônons. La Réunion peut être un modèle pour la France. Cet amendement en serait la concrétisation.
Imaginez un monde où chacun se respecte et souhaite apprendre à mieux comprendre l’Autre. Lorsqu’un jour férié sera posé, le jour J, on en discutera dans les écoles, ça fera la « une » des journaux, on en parlera à chaque croisement de rue. Et on parlera en fait de nous, de notre histoire, de notre identité.
Notre créolité doit servir la modernité. Et cette modernité doit s’inscrire dans un élan fraternel, comme le veut la devise de notre République".