Un attentat au Pakistan, des commissions sur la vente de sous-marins, des soupçons de rétrocommissions au profit de la campagne d’Edouard Balladur : ces trois facettes du "Karachigate" sont apparues dans une enquête antiterroriste mais n’ont pas de lien avéré entre elles à ce stade.
PARIS (AFP) - Un attentat au Pakistan, des commissions sur la vente de sous-marins, des soupçons de rétrocommissions au profit de la campagne d’Edouard Balladur : ces trois facettes du "Karachigate" sont apparues dans une enquête antiterroriste mais n’ont pas de lien avéré entre elles à ce stade.
Tout commence par un contrat : le 21 septembre 1994, la Direction des construction navales (DCN) vend trois sous-marins Agosta au Pakistan. Huit ans plus tard, le 8 mai 2002, 14 personnes, dont 11 salariés de la DCN travaillant à leur construction, sont tuées dans un attentat à Karachi.
La justice antiterroriste est saisie. Elle privilégie longtemps la piste islamiste et désigne Al Qaïda, d’autant que la France participe à la coalition militaire en Afghanistan.
Mais l’enquête patine. Jusqu’à ce qu’une autre hypothèse émerge, une "piste cruellement logique" selon le juge d’instruction Marc Trévidic, cité par une partie civile.
Cette piste situe l’origine de l’attentat dans la cessation en 1996 du versement de commissions sur le contrat, en raison de soupçons de rétrocommissions.
Cette thèse est apparue dans un rapport interne de la DCN baptisé "Nautilus". Ecrit fin 2002, il est dans les mains du juge depuis fin 2008.
Pour tenter de valider cette thèse, le juge Trévidic s’intéresse aux commissions versées sur le contrat, espérant identifier d’éventuels bénéficiaires "lésés" et susceptibles d’avoir organisé des représailles.
Il récupère donc des documents et auditionne de nombreux responsables de la DCN et de la Sofma, un office d’exportation d’armements par lequel transitaient une partie des commissions.
Témoignages et documents font apparaître deux réseaux de commissions. L’un géré par la Sofma, portant sur 6,25% (338 millions de francs) du montant du contrat et dont les versements se sont poursuivis jusqu’à fin 2000.
L’autre réseau porte sur 4% de commissions (216 millions). Les intermédiaires présumés, Ziad Takieddine et Abdulrahman El Assir, ont été "imposés par le pouvoir politique", notamment Renaud Donnedieu de Vabres, conseiller du ministre de la Défense François Léotard, selon ces témoins.
Alors que les versements s’étalent habituellement sur des années, ils ont obtenu que 85% des commissions soient versées dès l’entrée en vigueur du contrat, ont expliqué les responsables de la DCN.
Entendu à son tour par le juge, Ziad Takieddine a soutenu n’avoir "rien eu à voir" avec le contrat Agosta. Il confie dans un ouvrage à paraître être un "ami" de Nicolas Sarkozy, qui était porte-parole de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, candidat malheureux face à Jacques Chirac en 1995.
Les versements à ce réseau ont été stoppés par M. Chirac en 1996 en raison de soupçons de rétrocommissions qui sont illégales, selon l’ancien ministre de la Défense, Charles Millon.
Il s’agissait d’après Nautilus "d’assécher les réseaux de financement" d’Edouard Balladur.
L’ancien Premier ministre, qui a été entendu par une mission d’information parlementaire, dément avec vigueur tout financement occulte de sa campagne et balaie les soupçons de rétrocommissions. Nicolas Sarkozy a pour sa part qualifié cette "fable" de "grotesque".
La saisine du juge Trévidic ne concerne par d’éventuelles rétrocommissions, mais la recherche des auteurs et commanditaires de l’attentat et donc la vérification du lien allégué entre arrêt des commissions et attentat.
D’éventuelles rétrocommissions ne pourraient être mises au jour que dans le cadre d’une autre enquête, conduite cette fois sous la houlette du parquet de Paris, ouverte pour abus de biens sociaux au dépens de la DCN.