Ce haut fonctionnaire à la retraite raconte en détails ses longues heures d’impuissance devant un tueur déterminé et une victime abattue dans l’Hyper Cacher vendredi.
Agé de 67 ans, ce haut fonctionnaire à la retraite était parmi les personnes prises en otage par Amedy Coulibaly vendredi porte de Vincennes à Paris. Restant dans l’anonymat, il a confié sur Francetv Info ce mardi comment il a vécu ce drame. "Je ne suis pas juif, mais, aujourd’hui, je me sens terriblement juif", c’est en prononçant ces mots qu’il a commencé son récit.
Client occasionnel du supermarché cacher, ce sexagénaire voulait se procurer du houmous vendredi. "J’étais dans le fond du magasin quand j’ai entendu une détonation", raconte-t-il. Etant en poste dans des pays en guerre, il a tout de suite compris, "au bruit caractéristique que fait la kalachnikov", qu’il s’agit d’une prise d’otages. "Puis ça a été la panique, les gens se sont précipités vers un escalier en colimaçon" qui menait au sous-sol, poursuit le fonctionnaire.
Il s’est alors réfugié dans une des chambres froides du magasin sous une température de -5°C, une pièce de 10 m2, remplie de colis où se blottissent également une femme et son nourrisson.
Après une demi-heure, un otage descend leur dire : "Remontez tous ou il tue tout le monde." "J’ai hésité. Puis je me suis dit : ’Tant qu’à faire, je préfère mourir à l’air libre que dans une cave’." En haut de l’escalier, il tombe "sur le cadavre du malheureux - je l’ai su après-coup - qui avait essayé de prendre l’arme du terroriste. Il gisait dans une mare de sang, visage contre terre". "Venez, monsieur", lui a alors dit Amedy Coulibaly.
Il rejoint ensuite une douzaine d’otages, rassemblés dans une travée proche de la sortie du magasin : le coin des alcools et des produits de luxe, comme le foie gras. "Il m’a effleuré que je pourrais, avant de mourir, en manger", pensait le haut fonctionnaire, mais cette pensée frivole est vite doublée par une vision terrible. "J’étais juste en face de trois cadavres, à l’entrée du magasin. Deux étaient face contre terre, baignant dans leur sang. Mais le plus pénible, c’était qu’il y avait contre le mur un troisième qui agonisait. Il avait perdu conscience, mais il hoquetait encore...", raconte-t-il.
Le jihadiste propose d’en finir avec lui mais les otages l’en dissuadent. Les heures défilent et Amedy Coulibaly demande à chaque otage de donner son nom, âge, profession et origine. "J’ai dit : ’Français’. Il m’a demandé : ’Catholique ?’. J’ai répondu : ’Oui’." "Pour lui, l’origine c’était forcément la religion. Or, réduire quelqu’un à sa religion de naissance, c’est le summum du racisme", explique ce serviteur de l’Etat, qui a déjà vécu dans plusieurs pays musulmans, et qui apprend l’arabe et la lecture du Coran.
Craignant une irruption des policiers, le jihadiste effectue des "va-et-vient" dans le fond du magasin. Il exige alors que l’accès soit bouclé avec des palettes. Amedy Coulibaly, qui a saisi les portables des otages, en profite pour effectuer des appels téléphoniques, dont un à BFMTV. "Il nous a dit que c’était lui qui avait tué la policière de Montrouge, qu’il s’était coordonné avec les frères Kouachi et qu’il avait été obligé de passer plus vite que prévu à l’attaque" du supermarché car l’étau policier se resserrait autour de lui, explique le fonctionnaire à la retraite.
Avait-il des revendications ? "Il s’est mis à pérorer." Invoquant "la loi du Talion" et le désir de "vengeance", il a dressé un tableau des persécutions dont sont victimes les musulmans, "de la Birmanie jusqu’au Mali en passant par la Palestine et la Syrie", développe l’otage qui ajoute : "Ce qui m’a frappé, c’est qu’il a parlé des persécutions des musulmans en Birmanie - qu’on appelle les Rohingyas - par les bouddhistes : c’est pointu. On voyait que c’était un militant, pas un amateur. Et ça se voyait aussi à sa façon de manier les armes." Certains tentent un dialogue avec le jihadiste. Pas lui. "Je suis resté dans mon coin à essayer de faire le vide en moi, en attendant que ça passe.", a confié le témoin.
Une explosion résonna soudainement dans le fond du magasin, à l’opposé de l’endroit où sont réunis les otages. Amedy Coulibaly se presse de voir, quand une seconde détonation secoue la devanture. "Je vois le rideau se soulever, je me couche par terre, avec mon sac sur la tête. Puis Amedy Coulibaly se précipite vers la sortie principale..." termine le fonctionnaire. Le terroriste est abattu par une soixantaine de balles. Les otages vivants peuvent enfin sortir librement.