À l’ère des réseaux sociaux, les contenus se diversifient un peu plus et les plateformes sont utilisées afin de transmettre des messages, en particulier Instagram. À La Réunion, des utilisateurs se sont également lancé dans le mouvement en créant du contenu instructif, des débats autour de l’identité réunionnaise et du concept de décolonisation qui prend de plus en plus d’ampleur auprès de la jeunesse réunionnaise. Les créatrices des comptes Fanmhood, Lakafrinitude et Kermaron expliquent leur motivation.
À la Réunion, de plus en plus de débats qui portent sur les problèmes de société ont lieu, notamment au sein des jeunes. Toutefois, ces derniers ont une façon bien à eux de s’exprimer aujourd’hui et cela passe par les réseaux sociaux. Pour sa mise en forme et ses utilisateurs appartenant à plusieurs générations, la plateforme Instagram sert désormais d’outils pour propager des idées et transmettre des messages. Les Instagrameurs péi choisissent d’aborder des thèmes parfois tabous sur l’île tels que le racisme, le colorisme et la décolonisation.
À l’origine du compte Fanmhood, Juliana utilise la plateforme Instagram pour diffuser des messages d’espoir poétiques et féministes, des témoignages et mettre en avant des femmes noires marquantes. Les thèmes qu’elle aborde sont : l’identité réunionnaise, le racisme, le colorisme, la décolonisation et la place des femmes dans la société réunionnaise. Elle a aussi mis en place le mouvement #défriztonmomon grâce auquel elle a pu recenser et partager le témoignage de Réunionnais qui ont subi des discriminations reliées à leur chevelure crépue.
Le compte Lakafrinitude partage du contenu similaire à celui de Fanmhood, car elle traite des mêmes thèmes, lance des débats et partage des témoignages. Toutefois, Chloé, sa créatrice, met l’accent sur des sujets tabous comme la "négrophilie", le "privilège zorey à La Réunion" ou encore "l’hypersexualisation des femmes malgaches sur l’île". Elle remet en question la notion du "vivre ensemble" de l’île en mettant en lumière le colorisme et le racisme entre les différentes ethnies de l’île.
Manon, créatrice du compte Kermaron, propose du contenu différent. Elle aborde la Réunion d’un point de vue principalement historique, en se basant sur les récits des historiens. Son compte est donc composé de poèmes et de capsules informatives qui abordent des thèmes historiques réunionnais.
Fanmhood veut contrer la perte d’identité réunionnaise. Durant sa propre recherche d’identité, Juliana a ressenti un besoin de partager ses fonnkèr et d’inviter les Réunionnais à faire une introspection. "La colonisation n’appartient pas seulement au passé, car il empiète sur notre présent", dit-elle.
Chloé, auteure derrière les publications de Lakafrinitude, a, elle aussi, créé ce compte pour répondre à un besoin de s’exprimer et d’extérioser ses pensées. Elle confie que tout cela a commencé quand elle a constaté être victime de colorisme : "Depuis petite, j’ai remarqué que je n’avais pas droit au même traitement que mes amies à la peau plus claire. Que ce soit dans les regards ou à travers les remarques, dans le milieu personnel ou professionnel."
C’est en quittant son île pour les études que Manon, auteure de Kermaron, s’est rendu compte de l’amour qu’elle lui portait. Passionnée de politique et d’histoire, elle a ressenti la culpabilité de ne pas savoir grand-chose de son île : "Comment je pouvais autant connaître l’histoire occidentale et ne connaître quel quelques lignes de notre Histoire ?" Ainsi, elle a fait le choix de s’instruire et de partager ses connaissances.
"Le but de ces discussions est d’éveiller les consciences, d’amener les gens à s’émanciper, à accepter son identité pour prendre sa vie en main, car le rejet de ses origines est un frein dans son quotidien", explique la créatrice de Fanmhood. Ainsi, elle souhaite déconstruire les mœurs sur le passé colonial de l’île et sur la place du Réunionnais dans la société.
Lakafrinitude explique que son contenu identitaire a pour but de conscientiser La Réunion sur la décolonisation en abordant des sujets de tous les jours, parfois même des sujets tabous. "Je souhaite venir en aide aux Réunionnais afin qu’ils s’affirment et qu’ils ne se laissent plus piétiner par une société qui ne va pas toujours dans leur sens." Ainsi, elle espère répandre une "indépendance des consciences."
L’objectif premier de Kermaron est de "regarder l’Histoire de l’île par le prisme du colonisé et non du colonisateur," dit-elle. "Dans l’imaginaire collectif, le marronnage se résume à la fuite des esclaves dans les hauts, mais c’est beaucoup plus que ça. Le marronnage c’est la guerre menée par nos héros et héroïnes noires, malgaches, africains." En décolonisant l’Histoire, elle souhaite guider la décolonisation de la pensée qui entraînerait des actions pour un avenir plus égalitaire.
Les contenus de Fanmhood ont guidé sa communauté vers une prise de conscience et un changement des mentalités, notamment sur des sujets méconnus comme le colorisme. "À travers mes débats, les gens ont l’occasion de s’exprimer sur ces sujets", raconte-t-elle. Ses abonnés confient que cela leur a permis non seulement de cesser ces comportements toxiques, mais aussi d’y mettre un terme autour d’eux en transmettant ces connaissances. "Les remerciements de mes abonnés sont ma rémunération", se réjouit Juliana.
La prise de conscience est également présente au sein de la communauté de Lakafrinitude qui lui en ait reconnaissante. Chloé réalise également que beaucoup de Réunionnais partageaient ses pensées. Certains lui ont fait savoir que ça leur fait du bien de voir quelqu’un les rendre publics. Elle aussi retire du positif de cette expérience : "Mes auditeurs m’ont beaucoup appris sur le principe de la décolonisation, sur le rapport des Réunionnais avec son origine africaine, indienne, etc. Ils me donnent même des idées de sujets."
Auteure du contenu de Kermaron, Manon explique qu’elle ne peut pas encore mesurer l’impact de son contenu tant celui-ci est récent : "mais j’ai de longues discussions avec mes abonnés, je les pousse à se renseigner par eux-mêmes en leur partageant les sources." Elle reçoit aussi des remerciements, car elle contribue à la reconnexion de ces personnes à leurs origines.