Ils ont vécu au plus près la crise et les suicides à France Télécom : un sociologue et une médecin psychiatre témoignent de la souffrance au travail et de la "chappe de plomb" dans l’entreprise, où les syndicats ont encore recensé 12 suicides de salariés depuis janvier.
PARIS (AFP) - Ils ont vécu au plus près la crise et les suicides à France Télécom : un sociologue et une médecin psychiatre témoignent de la souffrance au travail et de la "chappe de plomb" dans l’entreprise, où les syndicats ont encore recensé 12 suicides de salariés depuis janvier.
Auteurs de "Pendant qu’ils comptent les morts", publié aux éditions La Tengo, Marin Ledun, ancien chercheur en sociologie à France Télécom, et Brigitte Font Le Bret, médecin psychiatre à Grenoble, n’ont pas été surpris par la vague de suicides qui a secoué l’entreprise à l’automne, ont-ils expliqué à l’AFP.
35 salariés se sont suicidé en 2008 et 2009. Et depuis le début de l’année, 12 suicides et sept tentatives ont été recensés par l’Observatoire du stress, créé par les syndicats Sud et CFE-CGC, et dont fait partie le docteur Font Le Bret.
Mardi, un nouveau salarié de Toulouse a tenté de mettre fin à ses jours.
Aujourd’hui, "le problème n’a pas encore été attaqué de front, et la situation perdure", même si "les managers ont pour consignes d’être plus conciliants", affirme Marin Ledun.
"On n’a pas encore touché à l’organisation du travail", et "l’angoisse est toujours présente", ajoute Mme Font Le Bret, qui "attend le résultat des négociations en cours" sur le stress au travail.
"Quand j’étais à France Télécom, entre 2000 et 2007, on entendait déjà parler de suicides. Cette crise existait depuis longtemps, mais c’est un sujet qu’on n’abordait pas", a insisté M. Ledun.
Selon lui, "il faut sortir de la chappe de plomb, du tabou qui dit que l’entreprise c’est secret", car "la question du travail et de la souffrance au travail doit être posée de manière politique et citoyenne, au même titre que l’amiante".
"Depuis 1995, on avait des indicateurs", comme des angoisses, des troubles du sommeil, des somatisations, ajoute Mme Font Le Bret, qui reçoit à son cabinet les salariés envoyés par les médecins du travail du groupe.
"Avant les salariés me disaient +j’en ai marre+, sans passer à l’acte". Mais peu à peu, elle a vu apparaître des "scénarios" de suicides : "C’est effrayant quand certains me disent +j’ai tout prévu, j’ai une corde dans la voiture+".
Confrontée à des témoignages "de plus en plus lourds", Mme Font Le Bret raconte par exemple ce technicien, qui à la suite d’une succession de mobilités forcées, a été reclassé comme commercial, et a souffert d"alopécie, c’est-à-dire une perte totale de cheveux", liée au stress.
Marin Ledun relate de son côté la pression à partir de 2006, pour faire partir 22.000 salariés du groupe. "J’étais dans le secteur Recherche et Développement, et tous les matins, on avait un courriel qui nous dressait la liste de tous les postes disponibles à l’extérieur de France Télécom".
"Nos managers avaient pour mission d’inciter 10% d’entre nous à quitter l’entreprise", explique l’ingénieur de recherche, à qui son supérieur avait proposé une reconversion comme fleuriste ou libraire. Il a finalement quitté le groupe "uniquement à cause de cette situation", en mai 2007.
Fin 2009, France Télécom a entamé plusieurs négociations avec les syndicats. Deux accords ont été signés sur la mobilité et l’équilibre vie privée-vie professionnelle, deux autres sont actuellement soumis à signatures, dont un sur le stress au travail.
La direction a également lancé un plan face à la crise sociale, prévoyant notamment le recrutement de 3.500 personnes en 2010 et une part plus importante accordée à la performance sociale des managers.