Le lynchage au Liban d’un homme soupçonné du meurtre d’un couple âgé et de deux enfants par une foule déchaînée qui l’a tué avec une violence extrême sous les yeux des policiers a soulevé une vague de condamnations dans le pays.
KETERMAYA (Liban) (AFP) - Le lynchage au Liban d’un homme soupçonné du meurtre d’un couple âgé et de deux enfants par une foule déchaînée qui l’a tué avec une violence extrême sous les yeux des policiers a soulevé une vague de condamnations dans le pays.
Mohammad Moslem, un Egyptien de 38 ans, a été tué jeudi alors qu’il arrivait sur les lieux de la reconstitution du meurtre du couple et de leurs deux petites-filles, âgées de sept et neuf ans, retrouvés poignardés à leur domicile mercredi à Ketermaya (25 km au sud-est de Beyrouth).
Des centaines de personnes ont traîné le suspect hors de la voiture de police qui l’avait transporté sur place, selon des images vidéo diffusées par les télévisions locales.
Ils l’ont ensuite dénudé, ne lui laissant que son slip et ses chaussettes, puis se sont acharnés sur lui, le poignardant et le frappant à mort dans la place publique, en présence de policiers impuissants.
Des images crues montrent également comment la foule a ensuite pendu son corps sanguinolent à un poteau électrique à l’aide d’une corde et d’un crochet de boucher, pendant près d’une demi-heure, au milieu des acclamations et des youyous des femmes.
Beaucoup de badauds prenaient des photos avec leurs téléphones portables.
"Le temps de la barbarie", titrait vendredi le quotidien francophone L’Orient-Le Jour.
Le chef d’Etat Michel Sleimane a condamné vendredi le lynchage, estimant que de tels actes "ternissaient l’image du Liban".
"Nous avons les noms d’au moins dix personnes ayant participé à ce crime horrible", a indiqué de son côté le ministre de la Justice Ibrahim Najjar.
L’Egyptien, arrêté jeudi, était déjà soupçonné du viol d’une fille de 13 ans dans cette même localité, selon un responsable des services de sécurité qui a requis l’anonymat.
Mercredi, "il s’est rendu chez Youssef Abou Merhi (75 ans) pour lui demander d’intervenir auprès de la famille de la fille en vue de l’épouser", a indiqué cette source à l’AFP.
Selon la loi libanaise, les poursuites contre un violeur cessent s’il épouse sa victime.
Le septuagénaire a refusé, ce qui a poussé Mohammad Moslem à le tuer ainsi que les trois autres membres de la famille.
Les tests ADN ont prouvé vendredi que le sang sur la chemise du meurtrier présumé et sur l’arme du crime correspondait bien à celui de deux victimes.
"On referait la même chose", assure un habitant de Ketermaya à l’AFP.
"A quoi vous attendez-vous lorsque la police amène le suspect au moment où les habitants attendaient le cortège funèbre et bouillonnaient de rage ?", demande un autre villageois sous couvert de l’anonymat.
Des mesures disciplinaires ont été prises à l’encontre d’officiers en raison de "leur mauvaise évaluation" de la situation sur le terrain.
"Cet acte barbare et sans précédent n’est possible que dans des pays régis par la loi de la jungle", commente quotidien Al-Akhbar. "La foule a tué Mohammad Moslem et avec lui la justice, en pensant que justice est faite".
"Imaginez qu’un autre crime se produise dans un autre village, les habitants vont-ils à nouveau rendre justice eux-mêmes ?", s’interroge le responsable de sécurité sous couvert de l’anonymat.
"La vendetta est déjà ancrée dans les milieux ruraux au Liban", affirme à l’AFP Melhem Chaoul, professeur de sociologie. "Mais ce qui s’est passé est une vengeance dans une situation de dissolution de l’Etat de droit" avec plusieurs crimes restés impunis depuis quelques années.
"Les gens se disent +si l’Etat ne peut pas châtier les coupables, nous ferons justice nous-mêmes+", ajoute-t-il. "Le problème est qu’avec ça, beaucoup d’interdits tombent".