Lors du procès qui s’est tenu ce matin au tribunal correctionnel de Saint-Denis, les prévenus n’ont eu de cesse de se décharger de leurs responsabilités. Et cela, malgré un rapport de l’expert plus qu’accablant concernant la remorque du camion qui ne freinait que d’une roue. Le système de freinage du camion, lui, était acceptable.
Pourtant, ce 6 novembre 2017, une jeune fille de 20 ans perd la vie, sa passagère devient aveugle de l’œil gauche et le chauffeur du camion frigorifique, qui a livré un témoignage poignant, reste marqué à vie.
"M. Incana porte la responsabilité d’avoir laissé ce tombeau roulant entre les mains de M. Toupin", a déclaré la procureure de la République lors du procès de l’accident du viaduc des Tamarins. Elle a requis, pour M. Toupin, le chauffeur, 3 ans d’emprisonnement dont 18 mois ferme ainsi que l’annulation de son permis de conduire et l’interdiction de le repasser.
Pour le patron de la société de transport qui porte son nom, M. Incana : 3 ans d’emprisonnement dont 2 ferme, en plus de l’interdiction d’exercer sa profession pendant 5 ans et 1000 € d’amende. Le verdict sera rendu le mardi 21 février 13 h 45.
"Cet ensemble routier n’aurait jamais du obtenir le contrôle technique", pour l’expert. Au cours de cette audience, la présidente est longuement revenue sur les trois rapports de l’expert. Celui-ci est sans appel. Si l’état des freins du camion est "acceptable", celui de la remorque du 38 tonnes est "désastreux" : 12 % de puissance de freinage sur ses quatre coins alors que 40 % minimum sont requis pour obtenir le contrôle technique. La vignette avait pourtant été accordée par le contrôleur technique deux mois avant l’accident. Malgré ces éléments accablants, M. Incana a chargé son chauffeur. Pour exemple, la barre anti-encastrement était déjà jugée vétuste en 2013, M. Incana accuse M. Toupin de l’avoir endommagé. Celui-ci pourtant, a pris ses fonctions dans l’entreprise en 2017. L’usage prématuré des freins ? C’est la faute de M. Toupin. "Je n’ai aucune responsabilité, M. Toupin roule trop vite", a-t-il expliqué, arguant de s’être fait "amadoué" par son employé qui "mangeait chez [lui] et qui venait prendre le café". Cette affirmation, le chauffeur l’explique : son patron l’appelait, il rappliquait.
Lors de leur audition ce vendredi matin, les deux prévenus se sont rejetés la faute l’un sur l’autre. Le chauffeur a alerté son patron sur l’état des freins, celui-ci lui l’aurait sommé de prendre son camion sinon, il était licencié. Cependant, le téléphone de l’employé révèle des appels passés au volant, quelques minutes avant l’accident. L’étude des caméras de vidéosurveillance révèle aussi plus de 9 dépassement de vitesse sur son trajet. Une inattention qui l’aurait empêché de prendre conscience du bouchon devant lui. Il n’a également pas rétrogradé, ni utilisé le frein moteur, ni klaxonné pour avertir de l’impact imminent. Enfin, le camion était équipé d’un système supplémentaire de frein d’urgence appelé Telma. Mais pour des raisons économiques, le patron n’aurait pas jugé bon de le mettre en état de fonctionnement. Pourtant, il affirme être au courant "depuis longtemps", que son employé usait excessivement les freins de ses machines, une affirmation qui a été vérifiée puis démentie par d’autres chauffeurs de la société, qui ont, à tour de rôle, pris le parti du patron ou de l’employé.
En l’absence de la famille de la victime et de sa passagère qui tous, ne veulent plus remettre les pieds à La Réunion, seul le chauffeur dont le camion de 3.5 tonnes a écrasé la voiture de la jeune femme de 20 ans était présent. Il a livré à la cour un témoignage bouleversant. Sa mauvaise prise en charge de l’hôpital qui l’a, selon lui, incriminé de la mort d’Amandine. 8 heures d’attente lui auront été nécessaire pour sa prise en charge. Il a également perdu connaissance lorsqu’il a vu le sang couler de la Twingo, persuadé qu’il venait de commettre un crime, alors qu’il en était lui aussi une victime. Il vit dans la peur constante des camions, n’emprunte plus la route des Tamarins et, en plus d’une perte d’audition progressive, souffre de stress-post traumatique. Seul point chaleureux dans ce procès difficile, la poignée de main entre les deux chauffeurs, l’un victime, l’autre prévenu, et les excuses de ce dernier qui semblait avoir pris la mesure de ce qui était arrivé à la sortie de la salle d’audience.
Hugo Delagraye