La députée socialiste Ericka Bareigts livre sa vision du PS, de la France et particulièrement des Outre-Mer en vue des réflexions pour la refondation du parti.
S’atteler à la refondation du Parti socialiste, passe aussi, pour chacun de nous, militantes et militants, par questionner le lien qui nous unit à ce collectif ; peut-être encore plus pour celles et ceux qui, comme moi, y ont adhéré depuis plus de trente ans, qui savent ce qu’ils lui doivent, les bonheurs des jours de victoires, les déceptions et les remises en cause des jours de défaites.
Pour moi, le Parti socialiste, c’est d’abord la caisse de résonnance de mes premiers combats de jeunesse : il y a plus de trente ans, alors étudiante, je poussais la porte d’un local d’une section pour y trouver les moyens d’un engagement. Ce qui m’animait à l’époque, et encore aujourd’hui ?
La volonté de mener des luttes collectives, de rassembler des énergies pour dénoncer les injustices, pour combattre les inégalités et les discriminations, pour aller à la rencontre des citoyens, écouter leurs quotidiens, leurs difficultés (de logement, de santé, de solitude) et de me battre pour y apporter des solutions.
Croisons-nous beaucoup de jeunes, à La Réunion ou ailleurs, qui voient encore dans ce parti le moyen d’un engagement ? Hélas, trop peu. Et c’est à cela que nous devons répondre : pourquoi notre parti, dans tous les territoires, et plus particulièrement en Outre mer, n’attire plus ceux qui souhaitent faire et s’engager ?
La raison première, c’est que le Parti Socialiste n’incarne plus le combat dans nos territoires. Il s’en est éloigné en se perdant dans des débats internes, dans des postures, dans une incapacité à se rénover et à faire émerger de nouveaux visages ! La politique c’est avant tout changer la vie et c’est pour cela que nous devons faire de nos militants, de nos jeunes notre première force politique.
La deuxième raison, c’est la déconnection perçue entre l’agenda politique des fédérations d’Outre-mer et les problématiques de terrains vécues par les citoyens. Il y a un intérêt politique, stratégique, citoyen, à ce que chacune des fédérations de notre parti partagent des combats communs, souvent nationaux, pour que partout, sur le territoire, nos militants soient une force politique, un bloc uni pour défendre nos valeurs. Elles ne peuvent être que cela. Ce fut trop souvent le cas, dans la fédération que je connais le mieux, à La Réunion, et dans celles des autres territoires d’Outre-mer. Un jeune, une personne nouvellement engagée, va d’abord chercher à résoudre les problèmes du quotidien qu’elle connait : tissons des liens entre les luttes, connectons-les aux réalités des citoyens.
La troisième que le Parti socialiste a souvent fait silence, voire, a relégué les sujets ultramarins. Je me souviens de la difficulté que j’ai eue, au sein même de groupes de camarades à Paris, au siège du Parti ou dans les réunions d’élus, de membres du Gouvernement, à porter les dossiers des Françaises et des Français d’Outre-mer.
Elue locale, députée, puis ministre : qu’elles n’ont été, au sein de mon propre parti, les discussions parallèles à mes interventions en réunion, les expressions du peu d’intérêt de mes collègues, le dénigrement et le peu de reconnaissance de nos combats pourtant tout autant légitimes. Je dis aujourd’hui que c’est assez.
Si mon parti, à l’heure où il entend se repenser et se refonder, n’entend pas ce cri d’alarme d’une militante des premiers jours, viscéralement attachée aux valeurs de la gauche, et de nombreux autres, qui sur le terrain, ne comptent ni leurs heures, ni leur énergie pour porter les valeurs du socialisme, alors ce parti risque la disparition.
Les Outre-mer sont pourtant une chance pour le Parti socialiste. D’abord, nos milliers de militants ont le combat pour l’égalité et le progrès ancré dans leur chair. Il y a comme une conscience politique et une soif militante dans nos territoires qui ne demandent qu’à s’exprimer. Cette ferveur, je l’ai connue tout au long de la campagne de 2012 : elle fait partie, comme ailleurs, du mouvement qui a permis de porter notre candidat socialiste à la victoire.
Elle a sans doute manqué en 2017. Ensuite, parce que la diversité de nos territoires et de nos populations, nourrissent le socialisme et ses réflexions sur des questions diverses, fondamentales pour son avenir : quel modèle de développement dans ces territoires éloignés où la biodiversité représente une richesse ? Quel modèle de vivre-ensemble dans un territoire comme la Réunion qui a connu des migrations des cinq continents ? Comment nouer des partenariats stratégiques, depuis nos bassins océaniques, avec les pays qui nous entourent ?
Toutes ces questions, comme il peut en exister d’autres émanant de tous les territoires de la France, fondent le corpus même du futur Parti socialiste : il faut que notre combat commun donne la priorité à l’égalité des territoires. Nos compatriotes doivent avoir les mêmes chances de réussir qu’ils vivent au sein de territoires ruraux, de quartiers populaires, de villes moyennes ou des Outre mer.
Pour ces derniers, le PS doit pleinement s’inscrire dans un processus d’inclusion et d’affirmation des territoires ultramarins. Comment ?
Tout d’abord, en reconnaissant que la France est océanique. Non, la France n’est pas continentale ! Non, la France n’est pas un Hexagone ! C’est, au contraire, l’un des rares pays à être présent au sein des trois grands océans de ce monde. Il est plus que jamais temps de réaliser que 3 millions de nos concitoyens vivent dans des territoires français situés dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. A nous de faire pleinement entendre leur voix au sein du Parti comme au sein de la société toute entière !
En portant, ensuite, un projet politique qui projette nos territoires vers l’avenir. Une détermination sans faille et un esprit d’innovation doivent nous guider pour les Outre-mer ! Beaucoup a été fait au cours du précédent quinquennat pour créer un nouveau modèle de développement. Les atouts - humains, géographiques, environnementaux … - des Outre-mer sont nombreux. J’en suis convaincue : nos territoires peuvent être à l’avant-garde des grandes mutations de cette planète comme la transition écologique ou la révolution numérique. A nous de faire preuve d’ambition pour les Outre-mer !
En arrêtant de croire qu’il ne faut se rendre en Outre-mer qu’au moment d’une élection : nous savons tous que c’est en allant sur le terrain que nous comprenons le mieux les difficultés de nos concitoyens. Cela suppose de venir à leur rencontre pour créer et maintenir un lien étroit et constant avec eux.
Au-delà des visites physiques, il faut inclure les Outre-mer dans chaque initiative, chaque action du PS, y compris par les moyens numériques.
A nous de faire de ce Parti une petite république océanique ! En reconnaissant la place des dossiers ultramarins dans l’agenda du Parti socialiste.
Je le disais, j’ai parfois été meurtrie du peu de considération de certains de mes camarades, à Paris notamment, pour les problématiques ultramarines. Il y a, évidemment, des camarades qui ont compris que le combat pour les Outre-mer était aussi un combat pour l’égalité et je veux leur témoigner ma gratitude mais ne nous voilons pas la face : pour certains, la lutte pour la reconnaissance d’une petite île comme Mayotte n’est pas d’un intérêt suffisant. Ils se trompent.
J’appelle mon parti à pleinement s’engager aux côtés des habitants des territoires ultramarins. Cela passe, par exemple, par l’inscription des dossiers ultramarins, de façon régulière, dans les ordres du jour des Bureaux nationaux et des Conseils nationaux du parti.
Cela passe par assurer une représentation des militants ultramarins dans les scrutins nationaux : je pense notamment aux élections européennes où le scrutin de liste nationale fait peser le risque d’une disparition de la représentation des Outre-mer. Cela passe enfin par une imbrication des cadres locaux des fédérations d’Outre-mer dans la vie des instances nationales.
En donnant aux fédérations ultramarines les moyens de rencontrer pleinement les réalités de leurs territoires et de leurs habitants. En plus du partage des combats et des remèdes nationaux indispensable, comme que je le disais, à la renaissance d’un parti fort, il nous faut reconnecter nos fédérations et relocaliser notre expertise.
Je pense ici à notre capacité à comprendre les réalités sociales économiques complexes du territoire, à proposer une feuille de route politique en lien avec les besoins locaux, à mener une action en lien avec la vie des gens, tout simplement. Cela implique également de relocaliser notre fonctionnement et le fonder sur des moyens importants.
Les Outre-mer ne doivent pas être les oubliés de la refondation du parti socialiste. Si la gauche faisait l’impasse sur ces territoires, elle renoncerait aux fondements de son identité : l’inclusion de tous dans le progrès et l’égalité réelle entre les citoyens. Je serai de celles et ceux, qui dans les prochains jours, semaines, continueront à faire des propositions fortes pour repenser notre collectif, fondé sur l’unité dans la diversité.