« Crises sanitaires, aléas climatiques, dérégulation croissante et instabilité des cours, rarement secteur d’activité n’aura été soumis simultanément à tant de risques et d’incertitudes. Aux difficultés anciennes inhérentes à l’activité agricole s’ajoutent de nouvelles menaces mondiales. La libéralisation est à l’œuvre sur les marchés agricoles. Et l’agriculture n’est plus épargnée par une délocalisation désormais massive. Comment qualifier autrement la location et l’achat par la Chine ou par l’Arabie saoudite de millions d’hectares arables en Afrique et en Amérique du Sud ?
Pour tenter d’atténuer les conséquences catastrophiques liées aux évolutions en cours, ce texte propose de réaffirmer ce qui n’aurait jamais dû être oublié, à savoir que la mission première de l’agriculture est d’offrir une alimentation saine à tous. Nous sommes d’accord avec la mise en place d’une politique publique de l’alimentation. Tout comme nous approuvons la volonté de maintenir la diversité des produits, des terroirs et des goûts.
La question qui se pose est de savoir si les différents instruments proposés pour atteindre ces objectifs, notamment la contractualisation, suffiront pour contrecarrer durablement la dérégulation que prône, en dépit des famines et des crises sanitaires que cette idéologie a pu provoquer, l’Organisation mondiale du commerce et, pour une bonne part, l’Union européenne elle-même.
Ces questions concernent au plus haut point tous les territoires et l’ensemble des agriculteurs, y compris ceux de l’Outre-mer. C’est pourquoi il est difficile de comprendre que l’avenir de notre agriculture soit traité, au niveau national, par voie d’ordonnances. D’autant plus que les États généraux de l’Outre-mer ont déjà permis d’identifier les objectifs et les axes d’intervention et qu’ils peuvent, d’ores et déjà, faire l’objet de dispositions législatives. Bref, nous ne sommes pas dans le cas de figure des dispositifs de sécurité sanitaire prévus à l’article 2, pour lesquels le recours à la procédure des ordonnances est justifié par le fait que les États généraux du sanitaire sont, eux, encore en cours.
Dans les Outre-mer, nous savons depuis toujours que l’agriculture, c’est plus que l’agriculture. L’histoire du peuplement, les paysages, la structure socio-économique, tout est là pour rappeler son rôle primordial dans nos sociétés. Plus que jamais, à la Réunion, nous devons à la fois consolider la filière canne-sucre et développer la diversification agricole. Dans les deux cas, les efforts de modernisation sont constants, mais chacun de ces secteurs est confronté à de réelles menaces.
Ainsi la fin, en 2013, de l’organisation communautaire du marché du sucre est-elle une échéance à haut risque. Là encore, les pressions de l’OMC sont fortes. Elles ont déjà provoqué une diminution du prix du sucre de plus de 35%, actuellement compensée par la France. Mais à quel avenir est promis cet édifice ? Quelle sera la position de la France à l’égard de l’Europe ? Quel sera le degré de résistance de l’Union européenne face à l’OMC ?
Des réponses à ces questions dépend l’avenir de l’agriculture réunionnaise. Bien souvent, en effet, ce sont les revenus garantis liés à la canne qui ont permis aux agriculteurs de s’orienter aussi vers la diversification agricole. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la culture des fruits et légumes, désormais première production agricole de l’île et qui couvre presque les trois-quarts de la consommation locale, loin d’être un substitut à la canne a été rendue possible par les revenus qu’elle assure.
L’objectif partagé par tous de parvenir à l’autonomie alimentaire dépendra, bien sûr, de l’ampleur du grand plan en faveur de la diversification de l’agriculture Outre-mer qui a été annoncé par le Président de la République, mais il sera également conditionné par le sort qui sera réservé à la canne. Cette dimension doit être d’autant moins négligée dans les futures négociations que les cultures agricoles, du fait des accords de partenariat économique, risquent de subir la concurrence redoutable des pays ACP qui vont pouvoir exporter à la Réunion, sans taxes ni droits de douane, des produits souvent similaires et très compétitifs.
De plus, la canne, culture traditionnelle s’il en est, contribue de plus en plus au nouveau défi moderne du développement durable. En fournissant déjà plus de 10% de l’électricité de l’île, elle participe, grâce à la bagasse, à l’objectif d’autonomie énergétique.
Développer la canne et parvenir à la sécurité alimentaire, cela nécessite, bien sûr, de préserver et même d’accroître le foncier agricole.
Cela suppose aussi que les agriculteurs puissent vivre de leur activité. L’augmentation rapide du prix des intrants et les catastrophes naturelles à répétition ont entraîné une chute de leurs revenus. Le nombre d’exploitations en difficulté ne cesse de croître. L’accès au crédit bancaire leur est encore plus difficile. La mise en place Outre-mer des fonds de garantie est devenue une urgence.
Sauvegarder le pouvoir d’achat des producteurs et le rendre compatible avec celui des consommateurs est un des objectifs que vous poursuivez avec raison. Les circuits courts de commercialisation sont un des moyens d’y parvenir. C’est pourquoi nous vous demandons de soutenir et d’encourager les initiatives prises en ce sens à la Réunion.
Quand on parle de pouvoir d’achat, comment ne pas songer aux agriculteurs retraités ? La nécessité de revaloriser les petites pensions agricoles est unanimement reconnue. Après vos récentes déclarations sur ce sujet, les agriculteurs et leurs conjointes attendent la mise en place de solutions rapides. Ils seront particulièrement attentifs aux suites qui seront données à la décision que vous avez déjà annoncée d’exclure de la reprise sur succession l’ensemble des bâtiments et des terres agricoles.
Un autre volet important de ce texte concerne la pêche. La problématique est toute différente puisqu’il s’agit essentiellement ici de lever les obstacles d’ordre juridique qui entravent le développement de ce secteur.
En effet, alors qu’elle se situe dans l’océan le plus poissonneux du globe, la Réunion est soumise à la politique commune de pêche élaborée pour l’hémisphère nord où la ressource halieutique est en diminution constante. Ce paradoxe fait qu’il nous est quasiment impossible de pêcher dans une zone maritime pourtant considérable.
Nous souhaitons que la réforme de la politique communautaire de la pêche de 2012 soit l’occasion d’en finir avec une contradiction aussi flagrante, et que la Réunion cesse d’être tenue à l’écart de cette activité. L’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet, nous le savons tous, l’adaptation des règlements communautaires aux caractéristiques des régions ultrapériphériques. Et la nouvelle approche des instances communautaires suggère de mettre plus fortement l’accent sur les atouts de ces régions.
Faut-il le rappeler ? La France dispose de la deuxième zone économique maritime du monde et l’Outre-mer représente 97% de cette superficie. Pourtant, cette puissance maritime continue d’être ignorée, même si la France importe plus de 80% des produits de la mer qu’elle consomme.
La formation maritime est très peu développée. Le Grenelle de la mer, qui a pris en compte cette réalité, a affirmé la nécessité de valoriser et de rendre attractifs les métiers de la mer. Cet objectif concerne en premier lieu l’Outre-mer.
À la Réunion, la ville de Saint-Paul se porte volontiers candidate pour accueillir un lycée des métiers de la mer. J’en ai déjà parlé au Ministre de l’écologie et de la mer. Notre ambition est de créer une véritable filière qui allie la formation professionnelle, le cursus universitaire et la recherche. Il y a là, pour la Réunion, un secteur d’activités et une source d’emplois dont ni le sens ni la pertinence n’échapperont à personne ».